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bien que sa fièvre subite de confiance en soi-même n’a pas été pour lui inspirer le désir de cette qualité « latine » de lumière et de vie dont l’absence, chez elle, l’avait déjà, rendue d’un accès difficile à maints lecteurs français des générations précédentes.


J’ai eu d’ailleurs l’occasion de signaler ici, tout récemment, un échantillon bien caractéristique de ces produits nouveaux de la science allemande, sous la forme d’une brochure consacrée par M. Ernst Curtius à l’Œuvre Critique de Ferdinand Brunetière[1]. Je n’avais alors à cœur, en vérité, que de défendre mon très regretté maître et ami contre les reproches que lui prodiguait la prétentieuse ignorance d’un obscur privat-docent germanique : mais il m’avait été impossible de ne pas exprimer aussi, dès ce moment, ma surprise devant l’étrange méthode critique de M. Curtius. Pendant les neuf dixièmes de sa brochure, il s’était borné à découper dans l’œuvre de Brunetière les opinions de l’écrivain français touchant diverses questions d’esthétique ou d’histoire. Ses chapitres s’appelaient : Les Idées de Brunetière sur l’Art ; ses Idées sur la Critique ; sa Conception de l’Histoire littéraire ; ses Jugemens littéraires ; ses Opinions sur les Philosophes de son temps ; ses Opinions sur les Critiques littéraires français du XIXe siècle. En un mot, une « anthologie » de l’œuvre de Brunetière, composée sans le moindre souci des dates, ce qui lui enlevait toute portée documentaire : et pas une fois, au cours de ses citations, l’auteur allemand ne s’occupait d’approuver ni de blâmer les innombrables fragmens ainsi rassemblés. Après quoi, brusquement, dans une « conclusion » d’une demi-douzaine de pages, voilà que M. Curtius se mettait à accabler d’invectives méprisantes une œuvre dont nous avions pu croire, jusque-là, qu’il en prenait à son compte les différens morceaux ! Et nous apprenions tout d’un coup que Brunetière n’avait été qu’un médiocre pédant, un successeur attardé des Laharpe et des Geffroy, un polygraphe dont la mentalité simpliste ne souffrait pas d’être comparée au fécond génie créateur d’un Jakob Burckhardt ou d’un Herman Grimm !

Mais veut-on connaître un spécimen plus récent encore, — et pour le moins aussi « représentatif, » — de l’érudition allemande d’aujourd’hui ? Un hasard m’a fait tomber sous la main l’un des derniers travaux de la critique littéraire d’outre-Rhin, publié à Heidelberg quelques jours avant la guerre. Il s’agit de nouveau, naturellement,

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1914.