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voudrait le consoler. Simon dit à Priska : « Mon pays est saturé d’un air inconnu au vôtre. Il y passe à la fois l’enivrement de la mer et la vigueur contenue dans les forêts profondes. On se sent près du ciel, si près que les clochers des villages déchirent de leur coq les nuages qui les frôlent. Autour de soi, partout, jusqu’au fond de l’horizon, les bois s’étendent ; ils sont roux maintenant, la feuille craque sur le sol, on entend galoper sous les hêtres les hardes des cerfs et des chevreuils… C’est le cœur de l’Ardenne, et c’est mon cœur aussi… » Et Priska : « Je voudrais connaître votre pays, Simon… » Provisoirement, Simon qui regrette ses forêts d’Ardenne, Priska le conduit au bois qui entoure le château de Desteldonck : un petit bois, des arbres réguliers, élancés, trop élégans ; il leur manque la jonchée des branches mortes. Ce n’est pas l’Ardenne, sauvage, ample et superbe. Simon s’en ira, quittera l’existence facile de la plaine pour le labeur de la montagne. Soudain, son âme « s’est imprégnée de tendresse pour la Flandre rêveuse et paisible ; » et, la Flandre qui l’émeut, c’est la petite Flamande Priska. Il demande à Priska : « Vous vouliez connaître mon pays ; ne voudriez-vous pas y habiter ? — Si vous le voulez, oui, Simon, » répond-elle. « Et tout l’obscur, indéfini, instinctif dévouement de sa race tient dans la réponse de la Flamande… » Simon épouse Priska et l’emmène. Là-bas, en Ardenne, c’est maintenant Priska qui va souffrir. Dès le voyage, pour aller à Saint-Hubert, elle frissonne du changement : la ligne de l’horizon s’élève et enferme le paysage. L’air et la bruine la déconcertent ; Simon, lui, hume l’air et la bruine. Il faut l’amour rassurant de Simon pour empêcher Priska de défaillir. Et puis, en Wallonie, on a des habitudes de galanterie taquine et agaçante, qui tourmentent la rêveuse et fidèle Priska. Une Babette Hurtebise, coquette et luronne, s’occupe de Simon. Les gens disent : « Babette a retrouvé son galant ; » et, un jour, Priska n’a pas fait exprès de voir Simon baiser la bouche de Babette. Priska se réfugie dans le silence et dans la piété. Peu à peu, elle s’apaise ; elle songe : « Babette et Simon, des amis d’enfance ; et voilà jeux de Wallonie… » Priska sort de l’église où elle a prié ; elle rencontre son mari et lui sourit avec douceur. Cependant, ces deux êtres sont séparés par un étrange malentendu, qui vient des différences de leurs races ; et le malentendu persiste jusqu’à un incident bizarre, brutal, jusqu’à un dénouement qui a l’air d’un symbole. Ce dénouement, lorsque M. Davignon l’a inventé, il ne pouvait pas lui attribuer cette qualité de symbole que nous y apercevons aujourd’hui… Un jour, Priska et Simon, des parens et des amis sont allés voir les cerfs s’ébattre