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ou Félicie, arrivait sans trop tarder, avec une lampe carcel en porcelaine blanche. Les grandes personnes tâchaient de ne pas rester longtemps, à cause de l’odeur. Mais gamins et fillettes n’en finissaient pas de choisir parmi la quantité des images d’Épinal… « La complaisance des demoiselles Janssens était inaltérable. Elles déposaient le ballot sur le comptoir, dénouaient la ficelle, ouvraient le papier de couverture ; puis, sans se lasser jamais, elles feuilletaient les images jusqu’à ce que les petits, haussés sur les pointes, toujours hésitans, eussent fait un choix définitif, ce qui était long. Elles savaient leurs goûts et disaient parfois de leur voix molle et traînante : — Non, ça, vous n’aimez pas, n’est-ce pas ?… Ou bien : — Non, ça, vous avez déjà eu… Elles leur étaient bienveillantes. Les cliens disparus, elles retournaient bien vite se tapir dans la pièce de derrière qui leur servait de tout, s’occupaient au tricot, à quelque broderie d’église, à moins qu’elles ne jouassent au bézigue sous le ronronnement de Pouske, leur gros matou, perché sur la table. Elles parlaient peu entre elles : c’était inutile, elles avaient les mêmes pensées. » Et, après cela, M. Courouble peut, sans inconvénient, plaisanter : longues et minces, toutes plates, sans nulle beauté, le teint jaune, des yeux pâles de béguines, des cheveux gris peignés en bandeaux, le nez fort, la bouche rentrée, l’une ayant le menton pourvu d’un bouton noir, velu et pareil à une araignée, il aime les demoiselles Janssens. Il a des souvenirs avec elle, souvenirs d’enfance et qui l’engageraient à.pleurer, s’il ne divertissait sa mélancolie au souci de parfaire ce dessin du passé.

Les Kaekebroeck et les Keuterings, même un peu grotesques, ne le touchent pas beaucoup moins. Le sentiment qu’indique sa manière, le voici : le rire n’est pas dérision, la moquerie n’est pas dédain. Familiarité, plutôt ; et ancien usage de camaraderie. Entre l’auteur et ses bonshommes, il y a une entente, une communauté de cœur ; on devine que les bonshommes et l’auteur s’égaient ensemble et, ensemble, deviennent graves, de temps à autre. M. Courouble, vers la fin d’un de ses volumes, a écrit : « La Famille Kaekebroeck, c’est l’histoire d’un coin de notre Ville chérie, une histoire en petites images crûment coloriées comme celles d’Épinal. Regardons-les avec indulgence. Peut-être témoigneront-elles un jour du passé ingénu, quand Bruxelles, impitoyablement saccagé au profit de la banalité moderne, perdra le souvenir de ses douces ruelles et ne saura plus même la place de son berceau. » Que ces lignes sont émouvantes aujourd’hui ! Elles datent de quelque douze années. Et l’on y sent une inquiétude,