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où les cabarets fascinent l’ombre de leurs yeux sanglans, et les instincts réfractaires s’allument. Les blousiers sauvages dressent leur haine, guettent l’occasion favorable aux ressentimens, retroussent leurs manches et crachent insolemment… » Terribles gaillards, et dociles comme des enfans à la chanson de la campagne qui les a vus naître et qui fut leur nourrice.

Un peintre excellent de la Wallonie, de ses paysages et de ses mœurs, est l’auteur de Mihien d’Avène et de la Petite reine blanche, M. Maurice des Ombiaux. Du triste Limbourg, transportons-nous dans des sites plus gais. M. Maurice des Ombiaux nous invite à des bals champêtres, à des banquets, à des fêtes religieuses ou ducasses… « Tout le long de la route, depuis les Quatre-Bras jusqu’à l’église, les échoppes qui s’étaient installées à la piquette du jour venaient de relever la bâche grise qui les fermait. Les marchandes achevaient d’arranger sur les établis volans recouverts d’une serviette blanche les caramels, les bâtons de sucre d’orge, les boules de Comme multicolore, les chiques de sirop durci, les bablutes, les babulaires, les couques de Dinant et de Reims, les pains d’épices de Gand et ceux de Verviers. A une corde qui allait de l’un à l’autre montant pendaient les saucisses de Boulogne : le sel dont elles étaient saturées traversait la membrane qui les recouvrait ; on eût dit qu’elles avaient été roulées dans la poussière de la route… » Et, autour des boutiques, les enfans ont la « censé » à la main, pour acheter ce qu’ils auront choisi ; les gamins « tirent à la chandelle pour gagner un mauvais cigare ; » en sarrau bleu, les paysans font manœuvrer le tourniquet, pour l’aubaine d’une pipe ou d’une blague. Et les cloches à toute volée : « Derrière les auvens et les abat-sons, on les voit bondir dans la tour pour répandre dans la campagne et jusqu’aux hameaux lointains leur appel joyeux. » Le canon, sur la colline, rivalise avec les cloches. Tout le monde dehors ; et les femmes, pauvres ou cossues, toutes « étrennent du neuf, » qui la robe et qui le bonnet ou le caraco. De la maison communale, sort l’Harmonie, drapeau en tête, précédée du maître-jeune-homme et de ses adjoints. « Ils étaient coiffés d’un bonnet garni de dahlias ; une touffe de rubans blancs et rouges était épinglée à leur blouse bleue. Ils entrèrent à grand fracas dans l’église. L’éclat des cuivres s’écrasait contre l’ogive des voûtes, retombait, se cognait contre les murs et rebondissait parmi les ronflemens de l’orgue, ce pendant que les cloches là-haut ne cessaient d’appeler les fidèles… » Joli tableau, et où l’on reconnaît l’art des peintres flamands, l’art d’un Téniers. C’est la même façon méticuleuse de ne rien laisser perdre,