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cardinaux s’absorbassent tout entiers dans les exercices spirituels. Ils en furent néanmoins distraits un jour par une facétie de l’évêque de Breslau, Sinzendorf. Ce prélat, bien qu’arrivé à Rome trois semaines auparavant, n’avait pu encore entrer au Vatican, grâce à un fâcheux accès de goutte qui l’avait tenu jusque-là cloué dans son lit. Un seul remède était venu à bout de ses souffrances : l’introduction du pied malade dans le ventre d’un porc fraîchement égorgé ! Aussi, le samedi saint, Sinzendorf fit-il demander à ses confrères l’autorisation d’amener avec lui dans le conclave « un cochon vivant, pour le cas où il serait repris de ses douleurs. » Comme bien l’on pense, le Sacré Collège refusa d’accéder à cette singulière demande ; et le cardinal de Breslau, fort déçu, décida de « remettre son entrée, jusqu’à une plus entière guérison. »

Pendant toute l’octave de Pâques, les cardinaux demeurèrent encore dans une complète inaction. Cette semaine fut seulement marquée par la réception solennelle du duc de Saint-Aignan, venu le 21 avril à la porte du conclave présenter ses lettres de créance au Sacré Collège. Rien qu’il résidât à Rome depuis huit ans, ce diplomate, aux termes du cérémonial, ne s’y trouvait qu’incognito : par raison d’économie, il n’avait pu, en effet, se mettre en public, c’est-à-dire organiser la somptueuse cavalcade qui devait, selon l’usage romain, accompagner au Vatican, lors de sa première audience officielle, tout nouvel ambassadeur. L’Empereur ayant envoyé une mission extraordinaire auprès du conclave, le roi de France « crut de sa dignité d’avoir au moins à Rome un ambassadeur reconnu, » et il avait donné l’ordre à Saint-Aignan « de faire incontinent tout ce qui était nécessaire pour cela. » Le duc apprit sans plaisir la volonté royale, car, nommé depuis trois mois au gouvernement de Bourgogne, il attendait, pour quitter Rome, l’élection du Pape ! La « pompe » du 21 avril rappela dans son ensemble celle que le prince de Sainte-Croix avait étalée un mois auparavant. Au dire de Saint-Aignan, le cortège, réglé par ses soins, fut d’une rare magnificence ; et, pour le mieux admirer, les cardinaux, aux fenêtres, demandèrent qu’il évoluât, à plusieurs reprises, sur la place Saint-Pierre. « J’eus pour remerciemens, écrivait le duc à Fleury, des signes réitérés que Leurs Éminences me firent de leurs bonnets. » Moins flatteuse est la description que l’auditeur de rote français, Canillac, nous a laissée de la chose. « Trois