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que l’on verrait au Vatican, et avant la fin de mars, les cardinaux de Rohan, de La Tour d’Auvergne, Kollonitz et Sinzendorf. Aussitôt, tout le Sacré Collège s’émut ; l’activité, l’agitation firent place à l’inaction et à la tranquillité des semaines précédentes. L’arrivée des prélats retardataires marquait en effet la reprise des scrutins et, dans chaque faction, l’on voulait élaborer d’avance la liste des candidats. Les « groupes » se reformèrent : celui des Corsini vint, en corps, supplier le neveu de Clément XII de quitter sa retraite. Celui-ci, devant une démarche aussi flatteuse pour son amour-propre, se laissa faire une douce violence ; mais, assagi par l’expérience, il prévint ses partisans que, tout en restant leur chef, il était décidé à s’éclairer des conseils d’autrui et notamment à prendre l’avis du cardinal de Rohan, dont il « prisait la sagesse par-dessus tout. »

Cet illustre guide ne devait pas manquer longtemps à Corsini. Devançant La Tour d’Auvergne, Rohan arrivait le samedi 19 mars aux portes de Rome. Il y fut accueilli par Saint-Aignan, qui le conduisit, avec sa suite, à l’ambassade de France où de somptueux appartemens l’attendaient. Fatigué de la route, l’auguste voyageur décida de remettre au mercredi suivant son entrée au conclave ; et, après avoir pris quelque repos, il profita de son loisir pour visiter dans la ville diverses personnes considérables : le roi d’Angleterre et ses fils, les princesses Corsini, la duchesse de Fiano, la nièce préférée d’Ottoboni. Enfin le 23, au matin, Saint-Aignan mena le cardinal en grande pompe au Vatican. Sur la route du cortège, la foule se rua, brûlant d’apercevoir, derrière les glaces du carrosse, l’altière et impassible figure du grand aumônier de France ! Sous cette calotte rouge et cette perruque à frimas, avec ces moires violettes et les dentelles du rochet fameux que rehaussaient encore les diamans du Saint-Esprit, c’étaient toutes les grâces de Versailles et un peu de la majesté du Roi qui passaient, vision prestigieuse, devant la plèbe romaine ! Les cardinaux firent fête au nouvel arrivant. « Avec vous, lui dit l’un d’eux par une fine allusion, le Saint-Esprit pénètre enfin au conclave. »

L’entrée de Rohan au Vatican ne devait pas être, ce jour-là, le seul spectacle offert à la curiosité des Romains. A la demande du cardinal Kollonitz arrivé de Vienne, le Sacré Collège avait en effet résolu de donner audience au prince de Sainte-Croix, envoyé extraordinaire de l’Empereur auprès du conclave : la