Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/515

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personne de l’archevêque de Vienne, Kollonitz, et de l’évêque de Breslau, Sinzendorf, et il avait proposé qu’on différât jusqu’à leur apparition toute nouvelle candidature. La motion votée, grâce à l’appui de Tencin qui obéissait aux suggestions de Saint-Aignan, il ne restait d’autre ressource au Sacré Collège pour occuper ses loisirs que de « faire des scrutins de politesse, » distribuant quelques voix à ceux des cardinaux qu’on voulait honorer, sans penser toutefois à les élire. Ainsi Fleury, Tencin eurent chacun leur « scrutin de civilité. » Ces aimables passe-temps eurent un intermède funèbre dans l’apoplexie du cardinal Jean-Baptiste Altieri, frappé en pleine chapelle Sixtine. C’était la plus belle humeur du Sacré Collège qui s’éteignait. Démocrite, ainsi l’appelait-on par contraste avec son frère, également revêtu de la pourpre, à qui une âme chagrine valait le surnom d’Héraclite, Démocrite offrait encore une originalité qui mérite d’être notée. Seul entre tous ses confrères, il n’eût pas voulu ceindre la tiare : il la craignait comme la fatalité ! La veille de la mort de Clément XII, un moine inconnu lui avait remis un papier, où se lisaient ces mots : « Le Pape mourra demain, tu seras fait pape, mais tu ne régneras que trois jours. » La première partie de cette prédiction s’étant réalisée, le pauvre Altieri était dans les transes à chaque scrutin !

La mort infortunée de ce prélat devait amener dans le conclave un incident fort comique : conséquence inattendue des choses de ce monde ! Les cardinaux Sacripante et Corio, s’étant mis à discuter le testament du défunt qui déshéritait son neveu et laissait tout son bien à des œuvres de bienfaisance, se querellèrent à ce sujet. Le premier approuvait Altieri, tandis que le second le condamnait vivement. Corio s’échauffa si bien « qu’il déclara que le sentiment contraire au sien ne pouvait être défendu que par une âme vile, née dans la misère et élevée dans l’avarice. » Sacripante riposta « que se défendre par de tels argumens n’estoit permis qu’à de vieux radoteurs, qui, pendant soixante-douze ans, avaient vécu dans une profonde ignorance des choses humaines et divines. » Après l’échange de ces aménités, les deux cardinaux se lancèrent l’un contre l’autre et luttèrent si bien qu’ils roulèrent à terre. Et ce fut dans cette posture peu ecclésiastique qu’ils furent découverts par un de leurs confrères, Rezzonico, accouru au bruit !

Sur ces entrefaites, la nouvelle se répandit dans le conclave