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cellule de Tencin, « afin que, représentant les trois grandes couronnes, ils s’entendissent avec lui sur un sujet. » Tous trois acceptèrent l’invitation. Dès qu’ils furent réunis, Corsini, ouvrant le débat, les adjura de se rallier à Spinola. Giudice et Acquaviva refusèrent de s’engager avant d’en avoir écrit à Vienne et à Madrid. Ottoboni et Tencin se montrèrent presque aussi réservés : ce dernier était d’autant plus circonspect que l’ambassadeur de France à Rome, le duc de Saint-Aignan, venait de lui faire passer un billet persuasif lui conseillant de surseoir à toute décision avant l’arrivée prochaine des cardinaux de Rohan et de La Tour d’Auvergne, porteurs des dernières instructions de la Cour. D’abord révolté de cette ingérence, Tencin, à la réflexion, avait jugé plus politique d’en tenir compte.

Cette nouvelle déception fut pour Corsini la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Sa colère, cherchant au hasard un objet, éclata sur Ottoboni. Celui-ci se vit traité de fourbe, de menteur, et accusé de faire échouer, l’un après l’autre, tous les candidats à la tiare, dans l’espoir qu’elle lui serait offerte à la fin. Surpris par cette brutale apostrophe et tout d’abord décontenancé, Ottoboni se ressaisit bien vite : le prenant de haut avec son adversaire, il riposta de son mieux et autant que le lui permettait la grosse toux dont il était déchiré. Bientôt à bout de souffle, il voulut néanmoins continuer à se défendre ; mais, passant de la parole au geste, il s’élança sur Corsini avec un air si furieux que Tencin et Acquaviva, s’interposant, le ramenèrent dans sa cellule. Là, le belliqueux vieillard, épuisé sans doute par tant d’émotions, eut une faiblesse : ses conclavistes, pour le remettre, lui firent absorber, bien qu’il fût en sueur, un verre de vin glacé. Une congestion se produisit aussitôt. Les médecins, appelés en toute hâte auprès du malade, exigèrent qu’on le transportât sur l’heure hors du conclave dans son palais de la Chancellerie. Trois jours après, Ottoboni y rendait le dernier soupir.

Cette mort tragique causa dans Rome un vif émoi, mais n’y laissa que de faibles regrets. Au dire des contemporains, le défunt ne méritait en effet qu’une très médiocre estime. Dans une de ses lettres, l’abbé Certain, secrétaire de l’ambassadeur de France, fait au prélat cette oraison funèbre : « C’était un grand seigneur, fort riche, fort magnifique, qui, pendant quarante ans, à Rome, a fait des dépenses ruineuses en théâtres, en