Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amis d’Albani pouvaient lui attirer des suffrages, outre ceux de sa faction propre, et, dans un conclave fatigué par des votes successifs, cet avantage suffirait peut-être à déterminer l’élection. Cette partie qu’il croyait pouvoir être décisive, Corsini se résolut néanmoins à ne pas l’engager le jour même. Il avait observé en effet que le cardinal Acquaviva, avec cinq ou six de ses confrères, se tenait à l’écart du scrutin, et il sentait le besoin d’être éclairé sur les intentions d’hommes qui apparaissaient déjà comme formant un tiers parti maître du résultat final. Il prit donc rendez-vous avec l’énigmatique Acquaviva, dans la cellule de ce dernier, pour la nuit suivante.

Ces entretiens nocturnes étaient dans l’usage des conclaves. Pendant les séances, aucune conversation particulière ne passait inaperçue. D’autre part, les billets échangés à la dérobée pouvaient prêter à des indiscrétions et, le cas échéant, rendaient impossible tout mensonge officieux. Lorsque les cardinaux désiraient se concerter en secret, force leur était donc de se visiter nuitamment. Et même alors, ils n’étaient pas à l’abri. « J’ai cru bon, écrira un jour Tencin à Fleury, de poster la nuit des observateurs pour surveiller les allées et venues, » et le président de Brosses, toujours railleur, prétendra que « la première chose que fait un cardinal dès qu’il est prisonnier, c’est de se mettre, lui et ses domestiques, à gratter, durant l’obscurité, les murs fraîchement maçonnés, dans le voisinage de sa cellule, jusqu’à, ce qu’ils aient fait un petit trou pour se donner, quand ils peuvent, un peu d’air et de clarté, mais surtout pour descendre par-là, durant la nuit, des ficelles semblables aux tirelires des prisonniers pauvres, par où les avis vont et viennent du dedans au dehors. » Corsini se risqua néanmoins et, à une heure indue, se glissa dans la cellule où il espérait trouver des lumières. Il y apprit d’abord qu’Acquaviva n’était pas, lui non plus, sans avoir fait son choix et se flattait, en le présentant à l’heure propice, de réunir sur le nom de son favori la majorité des suffrages. Sans se laisser rebuter, Corsini entreprit le siège du prélat : les argumens pour convaincre celui-ci étaient sérieux. Si Acquaviva le voulait, Riviera était pape ; or, ne valait-il pas mieux s’assurer d’une part prépondérante dans l’élection que de s’exposer à n’en avoir aucune, pour avoir cherché à en être le seul artisan ? Enfin, le nouveau pontife saurait témoigner de la gratitude à l’auteur de son élévation et lui garderait la place de