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avait été condamné. Durant plusieurs années, Clément XII l’avait privé de la voix active et de la voix passive, c’est-à-dire de la faculté d’élire ou d’être élu ; mais, avant de mourir, il lui avait rendu la voix passive. Au lendemain de l’interrègne, Coscia, jugeant cette grâce dérisoire, avait adressé à tous les cardinaux une violente protestation : aux termes des constitutions apostoliques, y disait-il, tout membre du Sacré Collège, fût-il accusé de lèse-majesté bu suspecté d’hérésie, doit jouir au conclave de la plénitude de ses droits. Depuis, comme son libelle ne lui valait que des blâmes, il avait remis son sort entre les mains du camerlingue. Après un long débat, le Sacré Collège décida de le recevoir en son sein, craignant que son exclusion n’entachât d’un vice de forme le vote d’où allait sortir le futur pontife. Et le cardinal Albani fut chargé d’amener le prisonnier, la nuit suivante, au Vatican : si la foule l’avait vu passer, Coscia eût été jeté dans le Tibre.

Cette affaire réglée, rien ne s’opposait plus à l’élection du Pape. Le camerlingue déclara donc le premier scrutin ouvert et invita les candidats à se faire connaître. Cette motion resta sans écho. S’observant mutuellement, les cardinaux gardèrent un prudent silence, car tous redoutaient d’affronter le premier feu, et nul ne se souciait de voir les diverses factions essayer leurs forces à ses dépens. Ayant vainement, et à plusieurs reprises, supplié ses confrères de se départir de leur réserve, Albani allait, en désespoir de cause, suspendre la séance, lorsque le cardinal Acquaviva demanda la parole. Agréablement surprise, l’assemblée fit entendre un long murmure d’approbation. Cet orateur imprévu était en effet une des têtes les plus illustres du Collège. Archevêque de Monreale, protecteur d’Espagne et de Naples, immensément riche, il jouissait d’un crédit sans égal. A Rome, dans la prélature comme dans la noblesse, il ne comptait que des obligés, et le peuple le chérissait à cause de ses largesses. L’indépendance qu’il affectait à l’égard des plus grands princes, l’intégrité dont il faisait parade, le souci qu’il professait pour les intérêts de l’Eglise, lui attiraient les cardinaux les plus austères. Enfin, tous ceux qui possédaient quelque bénéfice en Espagne ou dans le royaume de Naples avaient besoin de sa protection et lui composaient une vaste clientèle. « Acquaviva d’Aragon, écrit Brosses après l’avoir visité, tient l’état du plus grand seigneur de Rome : il est naturellement