Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mort de Benoît XIII, ils avaient réclamé un pape jeune et de famille romaine : seul, un long pontificat, libre de toute influence étrangère, pouvait, à leur avis, réparer les finances délabrées. Le jour même de son élection, Laurent Corsini, Florentin et octogénaire, fut donc impopulaire. Le châtiment sévère qu’il infligea au ministre prévaricateur de Benoit XIII, le cardinal Coscia, ne lui fut compté pour rien : en revanche, on lui imputa les ravages causés dans les États de l’Eglise par le passage des troupes françaises ou espagnoles, et l’on condamna sa politique qui n’avait pas su empêcher l’Italie d’être encore une fois le champ clos de l’Europe. Lorsque Clément XII, devenu aveugle, confia les affaires à son neveu, le cardinal Nerio Corsini, le peuple se crut revenu aux jours de Sixte IV et d’Alexandre VI. Enfin, en 1738, une crise monétaire, suivie d’une réduction de l’intérêt légal, mit le comble au mécontentement public, et l’on disait tout haut que l’argent ne circulait plus à Rome parce qu’il remplissait à Florence les coffres de la maison Corsini. Détestée dans la rue, la famille pontificale n’était pas moins haïe dans les salons. Princes et barons romains jalousaient « ces émigrés de Florence, » détenteurs de toutes les grâces, et il n’y avait que rancune et envie au cœur de ceux qui venaient en foule, à la Longara, faire leur cour au palais Corsini. Dans le Sacré Collège, la même animosité se retrouvait. Groupés autour du camerlingue, Alexandre Albani, les « vieux » cardinaux, ceux de Clément XI et de Benoit XIII, protestaient contre le népotisme du règne et flétrissaient ce Nerio Corsini, qui, pour s’assurer des voix au prochain conclave, distribuait à la seule faveur les chapeaux vacans. Deux cardinaux avaient été créés, quelques mois auparavant, à un consistoire tenu dans la chambre du pape moribond et, tout récemment encore, la même manœuvre se fût répétée sans l’énergie du secrétaire des brefs, qui avait refusé de prêter la main à une nomination in extremis. Jusqu’au dernier soupir de Clément XII, le cardinal-neveu, insouciant et superbe, avait méprisé ces haines, tandis que les princesses Corsini se targuaient de leur impopularité. « Les gens de la famille papale, disaient-elles souvent, meurent deux fois : la première de la mort de leur oncle, la seconde de leur mort naturelle. » Le Pape expiré, toute cette belle assurance tomba, et ce fut dans un misérable carrosse d’emprunt, les stores baissés, tremblant