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pour faciliter dans un avenir prochain la conquête des territoires et des populations qu’ils rêvaient de nous arracher. Les preuves de cette perfidie qui affectait des formes diverses, insinuantes ici, arrogantes là, revenaient à l’esprit de ces bons Français, jusque-là sans défiance, et, dans les entretiens que j’avais avec eux, ils rappelaient des traits qui ne les avaient pas frappés lorsqu’ils en avaient été les témoins ou lorsqu’on les leur rapportait. Tantôt, c’était un général allemand s’installant à Carthage, rayonnant de là dans toute la Tunisie, se montrant partout généreux, jovial, bon enfant, questionnant la main ouverte, s’informant et se vantant de se documenter en vue de travaux historiques ; tantôt, c’était un touriste qui, en prenant congé de colons qui l’avaient aimablement reçu, lui et ses compatriotes, disait, d’un accent où perçait la menace :

— Nous reviendrons ! Vous nous reverrez, et vous n’y perdrez rien.

Puis c’était, à Carthage, un groupe d’Allemands saluant au passage, par un feu d’artifice tiré sur les hauteurs qui dominent le golfe, un bateau sur lequel plusieurs de leurs compatriotes quittaient la Tunisie après l’avoir visitée et ceux-ci répondant par des cris et des chants qui proclamaient la grandeur de l’Allemagne et prédisaient qu’elle dominerait le monde ; et encore un arabisant prussien, — il se donnait cette qualité, — récitant devant des indigènes un hymne à la gloire du Kaiser et le leur traduisant comme pour le leur apprendre. Quelles manœuvres souterraines cachaient ces allées, ces venues, ces manifestations extérieures, et n’y peut-on voir l’expression d’une vaste espérance à peine dissimulée sous les moyens plus ou moins audacieux et insolens, employés pour en hâter la réalisation ? Au surplus, voici qui confirmera cette hypothèse. Au mois d’avril dernier, une personne de ma famille s’était rendue à Cartage pour visiter le musée des Pères Blancs. Comme elle sortait de la gare, un petit Arabe vint gambader autour d’elle, la main tendue, en criant et en baragouinant en mauvais allemand la fameuse devise qui est aujourd’hui le mot d’ordre germanique à travers le monde : Deutschland über alles (L’Allemagne au-dessus de tout).

— Qui t’a appris ce mensonge, mauvais drôle ?

À cette question, l’enfant ne répondit pas ; il s’éloigna moitié railleur, moitié piteux, comme s’il eût compris que son