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voici l’Hôtel-Dieu de Gallande et sa haute salle, l’hôtel des Trois-Pots avec son enseigne sculptée, son ange, ses bornes, sa haute façade de briques à chaînes de pierre ; voici le XVe siècle : des gargouilles et des fenêtres à meneaux flamboyans ; le XVIe : des linteaux armoriés, des murs à pilastres, des médaillons. Au carrefour de la Licorne, qui, grâce à Dieu, ne s’appelle point place Jules-Ferry ou Gambetta, une vieille enseigne montre trois écolâtres discutant avec un singe qui tient un broc et leur tend un hanap ; plus loin, le rempart domine toujours la Fosse aux Anes où les Ligueurs ouvrirent la brèche lors du siège de 1589 ; ailleurs encore, un rouge tronçon de la muraille romaine semble cacher sous le lierre le sang de ses blessures ; et tout à coup, au détour d’une rue, entre deux maisons, le clocher de Notre-Dame jaillit et, comme une fleur née de la ville, embellit le ciel… Se pourrait-il qu’on n’aimât point Senlis ?[1] »

Et se pourrait-il, maintenant que toute cette grâce est meurtrie, qu’on ne l’aimât davantage encore ? Si la rue de la République, grande artère de Senlis, a perdu tout le sang vivace du passé, Notre-Dame — en dépit des obus qui l’assaillaient — est encore debout. L’herbe verdoie toujours, aux pavés de son étroit parvis. Rien n’a bougé, du lourd portail à plein cintre, ni du décor paisible qui l’encadre, et la vieille maison voisine érige, comme naguère, au-dessus de son mur, le pignon et la tourelle de jadis. Seules, — témoigne M. Robert de Fiers, — « certaines parties furent endommagées : entre autres, dans le haut du clocher les arêtiers de la flèche, les crochets qui les décorent, les pinacles qui surmontent les angles de l’étage carré ; les têtes en saillie au bas de ces pinacles, l’archivolte de la baie inférieure de l’étage des cloches, la balustrade au bas de la façade principale, et, sur cette balustrade, une statue qui, dans sa chute, brisa une gargouille. » Dommages facilement réparables. Si les canons allemands n’en causèrent point davantage, ce ne fut pas, assurément, par respect du précieux sanctuaire. Il n’en faut accuser que leur insuffisante portée. Autrement, ils visaient juste.

Mais contons l’aventure.

Le mercredi 2 septembre, la marche de l’aile droite

  1. Au pays de Gérard de Nerval, par Jacques Boulenger.