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vomir. Partout nous retrouverons cette marque : détruire et puis souiller, pour le plaisir… Cette dégradante manie les peint. Déjà, en 70, c’était leur signature…


Nous gagnons les plateaux de la bataille. Après les sombres jours de la retraite, c’est de ce point, jusqu’à la lointaine frontière des Vosges, que se sont levées, pour la reprise de l’offensive, toutes les armées de Joffre. Glorieuses journées du 5 au 10 septembre, déjà baptisées : Victoire de la Marne ! L’Histoire saluera, d’une admiration étonnée, cette lutte gigantesque, quand elle la connaîtra mieux. Ici s’opéra l’un des plus prodigieux renversemens de la destinée. La France, qui roulait au gouffre, s’est ressaisie. Elle se cramponne au sol, y reprend force, comme Antée. La nation, du premier de ses généraux au dernier de ses soldats, fait front. Et l’innombrable légion barbare qui déjà, croyant tenir Paris, escomptait la facile défaite de nos armées, à son tour chancelle. Frappée au centre, pressée aux ailes, elle recule, elle fuit.

Une grande route bordée d’arbres longe les vastes terrains où déjà se voient les tranchées, et les tombes. La terre remuée là, ces épaulemens, ces trous où leurs tirailleurs étaient blottis, toute cette défense sent l’improvisé, pioches et pelles fiévreuses. Ils ne s’attendaient pas à voir surgir, si prompte et si hardie, cette armée de Paris, qui fonce, menace, de flanc. Le sol maintenant est nettoyé. Ensevelisseurs et brancardiers ont fait la toilette. Les blessés qui, sur place, longuement moururent, les morts aux figures noires que, plusieurs jours après, on vit encore, par tas, joncher les champs de leurs cadavres gonflés, toute cette épouvante a disparu. Plus rien que la terre brune, le chaume à perte de vue. L’immense écume de la bataille, le pêle-mêle des débris : caissons épars, fusils en monceaux, cartouches allemandes jetées par centaines de chargeurs, casquettes, sacs, on l’a soigneusement ramassé. Pourtant voici, oublié en arrière de cette crête, un de ces étroits hauts paniers à trois compartimens qui semblent faits pour les longs cols des bouteilles de vin du Rhin, et qui a contenu leurs obus jaunes et bleus. Une batterie a tiré d’ici…

Les talus de la route sont couverts de branches fracassées. Les fils télégraphiques emmêlent leurs guirlandes coupées. De