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L’ALSACE FRANÇAISE.

mots de liberté et de fraternité qu’elle avait inscrits sur sa bannière orientaient leur esprit vers la plus haute et la plus pure humanité. Ils jurèrent de conserver, à tout prix, ce trésor inestimable avec la langue de leur vraie patrie et de le développer à leur manière.

Regardant en elle et autour d’elle, cette jeune et grave Alsace se découvrit des traditions de famille, des légendes originales, une architecture spéciale, un art et une littérature autochtones. Elle résolut de leur donner la forme française, claire, élégante, ailée. Ce fut, pour cette œuvre d’épuration et de résurrection nationale, une heureuse émulation entre les Alsaciens restés en Alsace et ceux qui avaient émigré en France. Le beau roman de M. Paul Acker, les Exilés, les récits émouvans de M. André Lichtenberger, Juste Lobel et le Sang nouveau, les Images d’Alsace-Lorraine de M. Émile Hinzelin, la Légende dorée de l’Alsace de Mlle Marie Diemer, les poèmes gracieux de Georges Spetz, de Robert Redslob et de Mlle Elsa Koeberlé accentuèrent cette renaissance d’une Alsace française. Pendant que Rodolphe Reuss, professeur à la Sorbonne, écrivait sa savante et forte Histoire d’Alsace, Fritz Kiener, professeur à Strasbourg, démontrait l’existence d’une Alsace autonome, au point de vue intellectuel et social, dans sa saisissante brochure sur la Bourgeoisie alsacienne, tandis que M. Eckard en esquissait la formule politique dans son Autonomie de l’Alsace-Lorraine. Ajoutons que M. Boll, dans le Journal d’Alsace-Lorraine, et l’abbé Wetterlé, dans le Nouvelliste Alsacien-Lorrain, devinrent les défenseurs courageux et infatigables de cette campagne sur le terrain de la politique quotidienne. Si toutefois l’on cherchait le centre vital de ce mouvement, on le trouverait dans la Revue Alsacienne illustrée, fondée en 1904 par le docteur Pierre Bucher à Strasbourg. On peut dire que cet homme aussi modeste que distingué, doué d’un puissant esprit organisateur, a été, par son enthousiasme contenu et sa foi indomptable, l’instigateur le plus actif et la cheville ouvrière de la nouvelle conscience alsacienne. Pour terminer ce court exposé, je me bornerai à citer la réponse que je lui fis, il y a quelques mois, lorsqu’il me demanda de formuler ma pensée sur le dilemme tragique posé devant l’âme alsacienne, dilemme dont sa vie entière est, à mes yeux, l’exemple vivant et la solution victorieuse : « Si notre pensée, lui disais-je, s’oriente toujours vers la France, c’est que