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Europe fédérée sur le principe des nationalités libres et sur la compréhension réciproque des peuples. Ainsi s’approfondira à la fois le sens de leur originalité propre et de leur commun idéal. Le but rêvé des Allemands, dans cette guerre, est la domination de la race germanique sur le monde. Le nôtre est la formation d’une conscience européenne par toutes les nations affranchies.

Tel est le caractère nouveau de cette guerre. Il fallait le constater, avant de parler de la part qu’y prend l’Alsace. Cette part est à la fois très modeste et très importante, car elle est la suite et la conclusion d’un long passé. Si je devais résumer en trois mots le rôle qu’a joué l’Alsace, au cours de son histoire, entre la France et l’Allemagne, je dirais qu’elle y apparut dès l’origine comme une pomme de discorde qui essaya vainement de devenir un tampon et finit par être, par la force des choses, le brandon d’un immense incendie. Sans les événemens extraordinaires qui se déroulent sous nos yeux, cette image pourrait paraître bizarre ; mais les métamorphoses à vue d’œil, qui changent en ce moment la figure et l’âme des nations, nous font mieux comprendre les sentimens qui couvèrent en elles pendant des siècles. Dans sa longue élaboration, l’Alsace a pu hésiter entre les deux génies qui se disputaient son âme. Ce fut la France qui, par sa culture intellectuelle et son charme, rattacha l’Alsace à la grande tradition gréco-latine. Ce fut elle encore qui lui donna la conscience de la liberté. À travers ces deux grandes révélations, l’Alsace se découvrit elle-même. C’est pour cela qu’elle ne veut plus et ne pourra plus être séparée de sa libératrice.

J’essayerai d’esquisser, en traits rapides, ce petit chapitre de psychologie nationale en m’aidant de mes souvenirs personnels.

II

L’ALSACE SOUS LE JOUG PRUSSIEN

Si l’on se reporte à ce qu’était l’Alsace avant la date fatale de 1871, qui l’arracha à la France par le traité de Francfort, si l’on cherche à se retracer cette époque évanouie par les récits des rares survivans, on croit rêver. Le contraste est si fort avec les passions qui se déchaînèrent depuis, que ce temps appa-