Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/397

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fonctionnaires en deuil. Ils ne manquèrent pas l’occasion de faire leur cour au Pouvoir et ils achetèrent des flots de crêpe. Les Japonais eux-mêmes trouvèrent qu’ils en avaient trop acheté. Il leur en restera assez, je l’espère, pour porter le deuil de leurs ambitions.

Je refis, pendant la nuit et au jour levant, la route que j’avais suivie jadis, au mois de mai, de Moji à Nagasaki. Rien n’avait changé dans cette charmante nature montagneuse, où les bras de mer ont une apparence de beaux lacs endormis. Mais, sous le soleil d’août, la baie de Nagasaki, dont j’avais gardé une impression radieuse, n’était qu’un paysage à peine perceptible : une sorte de buée grise autour d’une mer pâle. La ville semble mourir. Toute son animation et toute celle du port s’étaient condensées le long des flancs du Katori Maru où des grappes suspendues de charbonniers et de charbonnières se passaient, en se les jetant, des paniers de charbon qu’ils vidaient dans les soutes. Le Katori faisait du charbon, comme s’il n’avait pas dû en refaire jusqu’à son retour. Enfin, nous allions donc partir ! Sur le pont, une émigrante japonaise disait à son petit garçon qui était en colère et qui voulait tout casser : « Allons, tais-toi, vilain Allemand ! » Mais je n’en souris même pas, car je venais de lire dans le Nagasaki Press que la nouvelle d’une défaite française était confirmée et que nous avions quitté Mulhouse.


André Bellesort.


(À suivre.)