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« que le gouvernement, que les grands établissemens de crédit prissent des initiatives, qu’on fit à bref délai des appels à l’épargne, non pour des dépenses militaires et improductives, mais pour des œuvres rémunératrices. » Un autre raillait ceux qui voyaient toujours à l’Est l’ennemi héréditaire : « La guerre que vous redoutez ou que vous recherchez selon vos intérêts ou vos affinités est problématique, et, la sagesse des nations aidant, cette guerre n’aura sans doute jamais lieu, ne vous en déplaise… » Les derniers échos de la condamnation de Hansi se perdaient dans les bruyans préparatifs d’un procès scandaleux. Les fêtes de Guernesey avaient redoré le buste du poète de L’Année Terrible. Mais nul n’entendait le pas, qui se rapprochait d’heure en heure, d’une nouvelle Année Terrible.

Tôkyô avait été touché par le typhon. Sur le bord des canaux et des douves du Palais Impérial, des saules pendaient, sabrés, déchiquetés. Les tuiles jonchaient les routes bordées de masures. Les tramways passaient solitaires dans ces vastes terrains vagues qui séparent les grands villages dont la ville se compose. Il y avait peu de monde dehors. Je ne rencontrai d’autre groupe animé qu’une corporation d’ouvriers qui conduisaient l’un des leurs au cimetière : ils chantaient en riant une complainte criarde ; et le vent agitait, dans les mains des porteurs bouddhistes, les fleurs de lotus métalliques et les bannières fleuries. Les sonnettes des crieurs de journaux carillonnaient dans les rues désertes. On était au 14 août. Après la fiévreuse attente des premiers jours et les nouvelles radieuses de la défaite allemande devant Liège et de notre entrée en Alsace, les télégrammes étaient devenus plus vagues : « Nos engagemens de cavalerie prouvaient notre supériorité… Une grande bataille allait se livrer… » Oh ! cette grande bataille toujours imminente, cette grande bataille qui commençait toujours, nous a-t-elle assez obsédés ! Pendant plus d’un mois, nous en avons traîné la hantise.

Dans l’après-midi, je me trouvai au Club européen avec un ami Français et un Anglais. Comme nous en sortions, on y apporta un supplément de journal ; et, incapables de déchiffrer les caractères japonais, nous restions là devant ce papier chiffonné comme devant une serrure à secret qui garde peut-être un trésor. Le Club était vide. J’insistai pour qu’on appelât un garçon qui pût le traduire ou, du moins, le lire. Il en vint un, à demi somnolent. Il baragouina quelques mots d’anglais. Je ne