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prète, M. Bourgois, le chancelier, M. Gallois. Ce petit centre, courbé sur les câblogrammes, frémissant d’allégresse et d’espoir, était merveilleusement chargé d’électricité française. L’ambassade recevait des visites du matin au soir. Les officiers de l’État-major apportaient à l’ambassadeur leurs félicitations et leurs vœux. Chaque courrier lui remettait des paquets de lettres d’inconnus enthousiastes. Et dans presque toutes ces lettres revenait le mot ou l’idée de vengeance.

La presse fulminait contre les Allemands. Des journaux qui, quelques mois auparavant, sur l’instigation de l’ambassade allemande, avaient naïvement proposé que le Prix Nobel de la paix fût décerné au Kaiser, le caricaturaient aujourd’hui avec des yeux d’halluciné et des moustaches furieuses. Les assassinats d’Alsace, la Belgique massacrée, soulevaient une indignation unanime. Le professeur de droit international, le Dr  Nirakawa, écrivait dans un des journaux les plus écoutés : « En ce moment, par sa conduite envers la France et la Belgique, l’Allemagne viole les principes des lois internationales et prouve qu’elle est l’ennemie de l’humanité. Le Japon n’a même pas besoin pour agir d’invoquer le prétexte de l’Alliance Anglaise. Celui qui a violé les lois du monde est l’ennemi du monde. Le Japon doit aider la Russie, la France et l’Angleterre à punir leur vieille ennemie. Il n’a pas de devoir plus urgent. » Ce fut à peine si quelques voix s’élevèrent, non pour justifier l’Allemagne, mais pour affirmer leur admiration de la science allemande. Ces quelques Japonais n’avaient pas tort, puisque, depuis vingt ans, leurs Écoles, leurs Universités, leur Armée, leur Gouvernement, tout les avait encouragés à prendre au sérieux le bluff de la science exclusivement allemande. Mais les autres ne s’embarrassaient point de ces considérations métaphysiques et savaient parfaitement qu’ils ne se contredisaient pas en marchant contre l’Allemagne.

Le Japon avait, lui aussi, à se venger. « N’oublions pas, s’écriait le même M. Nirakawa, l’inqualifiable intervention des Allemands en 1895 ! » Il pouvait être tranquille : aucun de ses compatriotes n’avait oublié que l’Allemagne, la Russie et la France avaient forcé le Japon, vainqueur de la Chine, à lâcher sa prise. Il s’était vengé de la Russie ; il allait se venger de l’Allemagne. Quant à la France, elle avait une excuse à ses yeux : il avait compris qu’en suivant son alliée, la Russie, elle