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homme à tout faire du consulat, courut aux bureaux de rédaction des journaux japonais, et, chapeau bas, les pria d’excuser l’erreur qu’avait commise le croiseur du Kaiser. « Ce n’était certainement qu’une erreur, un simple petit malentendu. » Les Japonais s’amusèrent gravement des excuses de ce gros gars qui leur était dépêché par le consul ; ils en prirent acte et en informèrent leurs lecteurs. Et tout à coup, à la nouvelle que nous avions coulé le Panther (?) ce fut une explosion de sympathies françaises qu’aucun symptôme n’avait permis de prévoir. L’ultimatum de leur alliée l’Angleterre à l’Empereur d’Allemagne ne fit que donner à ces sympathies une sorte de consécration politique. Dans les magasins, dans les tramways, dans les rues, dans les bureaux de poste, nous étions abordés par des gens qui nous souhaitaient la victoire. Le directeur du Sontag Hôtel, qu’atteignait la mobilisation, recevait deux beaux sabres de samuraï et des lettres où on lui disait : « Frappez fort ! » L’ascendant de l’Allemagne était donc à la merci du premier coup de canon ! Je compris, mieux encore que je ne l’avais fait, tous les bénéfices que nous retirerions de la guerre, si nous étions vainqueurs… J’aurai bientôt l’occasion de revenir sur cette volte-face qui n’était étonnante que par sa soudaineté populaire.

Quant aux Coréens, les bruits de guerre les avaient un instant tirés de leur apathie. Mais, du moment que ce n’étaient point les Russes qui marchaient contre les Japonais, ils s’y replongèrent.

Il y a, à Séoul, dans le même quartier que le Sontag Hôtel, et tout près du Palais de l’ancien Empereur, un petit club européen, où l’on pénètre après avoir traversé deux cours aux portes coréennes. La Résidence générale y envoyait, vers onze heures du matin et vers six heures du soir, la traduction anglaise des dépêches de la guerre. On les affichait dans la salle du Bar ; et, deux fois par jour, la plupart des Européens s’y réunissaient. Ces dépêches étaient parvenues au Japon en anglais ; là, on les avait traduites en japonais, et, transmises en japonais, elles étaient, à leur arrivée à Séoul, retraduites en anglais. Nous nous mettions à plusieurs, le nez sur la carte, pour tâcher d’identifier, à travers cette succession d’avatars fantastiques, les noms propres étrangers que la langue et l’écriture japonaises