Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/379

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sérieuses batailles qu’au centre de la France. Nous prendrons Paris. Nous vous écraserons. Il vous est impossible de nous résister. Alors seulement nous nous tournerons contre l’Angleterre. Vous comprenez que sa flotte de carton ne nous fait pas peur. Je suis diplomate. Je sais à quoi m’en tenir. » M. Boher ne répondait rien ; mais il avait jeté un coup d’œil significatif à son caissier. Et la jeune dame souriait ; et le mari se rengorgeait et continuait de nous pourfendre de droite à gauche et de haut en bas. Le caissier, lui, allongeait la note. La vue de cette note interrompit brusquement l’éloquence prophétique du monsieur, et la dame ne sourit plus. « Vous me dites que vous êtes diplomate, reprit alors M. Boher : on ne s’en douterait pas. Mais je suis sûr que vous n’entrerez pas si facilement en France et qu’en tout cas, lorsque vous en sortirez, vous aurez la note à payer. » Ils payèrent celle qu’on leur tendait et disparurent sans ajouter un mot, par économie.

Les Anglais, du premier moment, furent pour nous, et il ne leur vint pas à l’esprit que l’Angleterre pourrait garder la neutralité. Très menacés par l’envahissement du commerce germanique, ils avaient senti leur erreur de 1870 et qu’un nouveau triomphe de l’Allemagne serait pour eux le commencement du déclin. Leur sentiment s’exprimait sous une forme catégorique, que je retrouvai textuellement dans le Seoul Press : « Nous ne vous laisserons pas écraser. »

Les Américains se réservaient. L’un d’eux, à qui le consul de Belgique demandait de quel côté se rangerait l’opinion des États-Unis, répondit en haussant les épaules : « Oh ! vous nous connaissez : nous penserons ce que pensera l’Angleterre. » Je crois que c’est assez vrai de l’Est Américain, beaucoup moins de l’Ouest. Les missions américaines, qui se recrutent surtout dans le far west, avaient été jusqu’ici trop germanophiles, pour que nous pussions compter, du premier coup, sur leur sympathie.

Restaient la population japonaise et la foule coréenne. Les deux premiers jours, les Japonais ne manifestèrent rien. Mais, lorsqu’on sut qu’un croiseur allemand avait arrêté deux de leurs bateaux de commerce, la presse commença à montrer les dents ; et l’Allemagne fit alors, dans la personne d’un de ses plus obscurs sujets, une démarche qui accusa la platitude obséquieuse que ses commerçans trouvent moyen de concilier avec leur arrogance. Un certain Bolljahn, ancien professeur d’allemand,