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il n’était peut-être pas de peuple qui parût moins susceptible d’enthousiasme militaire que le peuple bruxellois. La veille encore, s’il suivait avec un intérêt passionné les événemens européens, il se réjouissait de ce que sa neutralité le garantissait de la tourmente. Il se disposait à recueillir les blessés et les fugitifs, comme en 1870, et se félicitait de ce qu’à la déclaration très nette de M. Klobukowski, ministre de France à Bruxelles, s’engageant au nom du gouvernement de la République à respecter la neutralité belge, le ministre d’Allemagne, interviewé par Le Soir, eût répondu par une phrase banale, mais qui paraissait satisfaisante. « Je n’ai pas à faire de déclaration analogue à celle de Monsieur le ministre de France, avait déclaré le diplomate allemand avec une subtile hypocrisie. Que nous respections la neutralité belge, mais comment en douterait-on ? C’est une chose entendue. »

Le soir de ce même jour, le ministre des Affaires étrangères de Belgique recevait l’ultimatum allemand.

La ville l’apprit dans la matinée du 3 et, brusquement, cette nouvelle fit éclater mille sentimens divers et violens : la stupéfaction, la déception, l’irritation. Tant de gens avaient compté sur la bienveillance allemande ! L’inquiétude éclatait chez tous ; la joie apparaissait seulement chez quelques militaires, heureux de combattre aux côtés des armées françaises.

Toutefois, la colère dominait. En quelques heures, tout ce peuple méthodiquement travaillé par l’Allemagne depuis des années ne connut plus qu’un sentiment unanime : la haine, la haine ardente et raisonnée que provoquent l’amitié trahie et la confiance trompée. On ne put empêcher la foule de casser quelques carreaux des innombrables magasins allemands qui pullulaient dans la ville.

Par bonheur, presque en même temps que l’ultimatum, on connut la réponse digne, ferme et modérée du gouvernement. Ce fut un soulagement universel ! On n’avait pas douté de la réponse : tout de même, on était heureux d’en connaître les termes. L’inébranlable résolution qu’on y sentait donnait confiance, et ce qui affermit encore cette confiance, ce fut ce qu’on apprit du rôle que le Roi avait joué dans le conseil où l’on avait résolu de résister à la menace germanique. Certes, il avait été soutenu, et la décision avait été prise à l’unanimité, mais, dès les premiers mots de la discussion, c’est en lui que s’était person-