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porta sur trois thèmes principaux qui prennent aujourd’hui toute leur valeur : l’admiration que donnait au souverain le réveil du sentiment patriotique en France, le respect qu’il éprouvait pour l’œuvre accomplie par son oncle Léopold II et le désir qu’il manifestait qu’on développât entre Belges ce qui unit, et non ce qui divise.

Et, dans cette conversation où le bon sens du Roi m’apparaissait très clair et très net, à chaque tournant de phrase, un même mot revenait sans cesse, qui aujourd’hui m’apparait tout chargé d’émotion : maintenir !

À plusieurs mois de distance, il me serait impossible de reproduire les termes exacts dont le Roi s’est servi, mais j’ai très vivement présente à la mémoire l’espèce de tableau qu’il me faisait de l’œuvre accomplie par la dynastie, œuvre de construction, de fusion, d’unification. Il me montrait comment ses deux prédécesseurs s’étaient efforcés, par une action discrète et continue, d’amalgamer les élémens divers d’un peuple bilingue et de développer les forces d’action d’une nation pleine de ressources, mais qui ne les soupçonnait pas toutes.

« Pour moi, ajoutait-il, je tâche aujourd’hui de maintenir ce qui a été fait. C’est déjà une tâche assez difficile que de maintenir ce qui a été fait. »

L’admirable et touchante modestie, et en même temps, le beau programme qu’il y avait dans le mot : maintenir !

Maintenir l’œuvre si sage de Léopold Ier, habile et prudent agent des Puissances, qui avait voulu faire de la Belgique indépendante et neutre un gage de la paix européenne ; maintenir l’œuvre de Léopold II, qui avait trouvé moyen de concilier les devoirs de la neutralité avec l’effort vers la grandeur nécessaire à une nation pour qu’elle croie en elle-même ; maintenir enfin l’œuvre du peuple belge tout entier, son histoire, ses traditions, ses libertés, ses espérances. Le Roi ne se doutait pas alors que, pour accomplir ce programme, il devrait montrer la fermeté des grands politiques et le courage des plus vaillans guerriers.


Ceux qui ont passé à Bruxelles les premiers jours d’août 1914 n’oublieront jamais la fièvre qui, alors, s’empara brusquement de la ville. Paisible, volontiers railleur, satisfait à l’ordinaire,