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remaniement ministériel qui vient d’avoir lieu à Rome n’avait pas forcément attiré l’attention.

Ce remaniement n’est pas très profond au premier abord et, indépendamment de toute autre circonstance, il était devenu indispensable par la mort du marquis di San Giuliano. Toutefois, on ne se pressait pas. Le président du Conseil, M. Salandra, faisait l’intérim des Affaires étrangères. Il avait offert ce ministère à M. Sonnino, qui ne l’avait pas accepté, et cette situation aurait pu se prolonger quelque temps encore, si la démission du ministre du Trésor, M. Rubini, n’était pas venue montrer que le Cabinet avait besoin d’être modifié et consolidé, faute de quoi il s’en irait en morceaux. Ce n’était pas en effet une crise qui s’ouvrait, mais une crise qui se prolongeait, qui avait des causes anciennes et graves et à laquelle il fallait apporter un remède énergique. La démission de M. Rubini avait été précédée, il y a quelques jours, de celle du ministre de la Guerre, le général Grandi. Au moment de la constitution du ministère Salandra, le portefeuille de la Guerre avait été offert au général Porro dans des conditions qu’il n’avait pas acceptées. La guerre européenne n’était pas encore commencée ; on ne la prévoyait pas en Italie ; on en était encore aux illusions pacifistes du ministère Giolitti et au relâchement qui en était résulté. Aussi le général Porro, plus prévoyant que les autres, passa-t-il pour un mégalomane militaire lorsqu’il demanda 600 millions de crédits nouveaux en vue de certaines réformes qu’il jugeait indispensables pour mettre l’armée en état de suffire à tout événement. On se récria, et le portefeuille fut attribué au général Grandi, qui acceptait d’assurer la défense nationale à moitié prix, c’est-à-dire moyennant 300 millions. Mais la guerre éclata et fit apparaître des nécessités nouvelles sur lesquelles le général Grandi se trouva en désaccord avec son chef d’état-major, le général Cadorna. Celui-ci l’emporta, le général Grandi donna sa démission. Il fut remplacé par le général Zupelli, ami et ancien collaborateur du général Cadorna, et connu pour être un irrédentiste assez ardent.

Nous ne serions pas entré dans tous ces détails s’ils ne donnaient pas un sens précis à la crise ministérielle italienne : on voit que ses motifs se rattachent à la défense nationale, et la démission de M. Rubini s’y rattache aussi, car ce ministre s’est démis à son tour parce que, partisan de la neutralité et de la paix à tout prix, il n’était d’accord ni avec le nouveau ministre de la Guerre, ni avec plusieurs autres de ses collègues sur les crédits militaires et sur les moyens d’en couvrir la dépense. Dans ces conditions, il était intéressant de