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quoiqu’il règne peu à Constantinople et n’y gouverne pas du tout, semble opposer quelque résistance à la pression qu’on exerce sur lui. Le monde politique ottoman est divisé. Enver pacha et sa bande, s’ils sont les maîtres du jour, ne seront peut-être pas ceux du lendemain. Quoi qu’il en soit, nous avons lieu de croire que la tranquillité de nos colonies ou de nos protectorats ne court aucun danger sérieux, et l’Angleterre partage la même sécurité en ce qui concerne les siens.

La Turquie nous fera certainement moins de mal que le Japon n’en a déjà fait à l’Allemagne par la prise de Tsing-Tao. La place a dû capituler, et c’est un événement important, un événement de l’ordre mondial que cette capitulation : elle porte une atteinte extrêmement sensible à l’orgueil allemand, une atteinte dont les conséquences resteront sans doute irréparables et qui changera le cours de l’histoire dans ces régions lointaines. Lointaines, elles l’étaient autrefois davantage ; elles le sont moins aujourd’hui avec la facilité et la rapidité des communications. La carte du monde politique nous apparaît avec des proportions nouvelles et réduites, et c’est un fait significatif dans sa nouveauté qu’une guerre qui se poursuit en Europe ait pu avoir en Chine un contre-coup aussi profond et aussi prompt. On se rappelle dans quelles conditions l’Allemagne y avait fondé, sous sa forme de bail emphytéotique, une colonie dont elle était justement fière, mais dont la base s’est trouvée fragile. C’était une œuvre personnelle de l’empereur Guillaume : il se préoccupait beaucoup de ce qu’il appelait le péril jaune et attachait un intérêt de tout premier ordre à la place qu’il avait su prendre au cœur même de l’Asie. De grands projets ultérieurs s’y rattachaient dans sa pensée : qu’en reste-t-il aujourd’hui, qu’en restera-t-il demain ? Il y a eu là pour l’Empereur une déconvenue qui, même au milieu de tant d’autres, a dû lui être amère. Mais nous ne nous y attarderons pas aujourd’hui, sauf à y revenir plus tard. Il faut bien avouer que le canon qui tonne sur l’Yser ou sur la Lys, à Arras ou à la Bassée, a un peu couvert pour nous celui de Tsing-Tao.

Nous ne pouvons pas finir notre chronique sans dire un mot de l’Italie. Nous en parlons rarement, parce que sa politique, très intelligente assurément, mais un peu incertaine encore, ne se dégage pas à nos yeux suivant une ligne tout à fait nette et que nous voulons éviter tout ce qui nous donnerait l’air de vouloir donner à nos voisins et amis un conseil dont ils n’ont pas besoin. Bien qu’ils aient obéi à leurs intérêts en proclamant leur neutralité, nous leur savons grand