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Ce qui n’empêche pas les « pieds » de l’idole d’être eux-mêmes, au dire de notre auteur, gênés par maints obstacles, et dont l’un des principaux se trouverait être la sottise, plus ou moins naturelle, d’un très grand nombre de soldats allemands. « Plus ou moins naturelle, » parce que souvent des soldats polonais, ou encore lorrains, se font manifestement un devoir de fermer leurs cervelles aux leçons de leurs chefs. Avec une obstination héroïque, ils refusent de comprendre à la fois la « lettre » et l’ « esprit » de l’enseignement militaire qu’ils reçoivent : simulant dès le début une balourdise qui s’accentue à mesure qu’ils peuvent moins prétexter leur ignorance de la langue allemande. Mais en plus de ces sots « volontaires, » combien de soldats qui, très sincèrement, échouent à saisir le sens et la portée des ordres les plus simples ! L’auteur nous cite ainsi, tout au long de son livre, des traits d’incompréhension dont l’équivalent serait en effet bien difficile à découvrir chez les plus « naïfs » de nos troupiers français, — des traits de l’espèce de celui-ci, que je prends au hasard :


Un jour, pour garder un petit cours d’eau, j’avais placé un de mes hommes en sentinelle, à l’entrée d’un pont. Personne ne devait traverser le pont sans répondre à la sentinelle un mot d’ordre convenu. Arrive un sergent de l’armée opposée. Mon homme lui demande le mot d’ordre : mais le sergent l’ignore et, par conséquent, reçoit défense de traverser le pont. Là-dessus, le voici qui fait quelques pas sur l’autre bord de la rivière, et puis qui passe à gué, avec de l’eau jusqu’à hauteur des bras, sans en être empêché par la sentinelle ! Celle-ci avait fidèlement suivi sa consigne : elle n’avait permis à personne de traverser le pont.


A quoi l’auteur ajoute : « Je sais déjà de bonne source que des incidens du même genre se sont produits à Liège. L’armée allemande en verra se produire bien d’autres, au cours de la guerre. »


T. DE WYZEWA.