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Son départ de l’armée allemande avait eu lieu à la suite d’une querelle où il avait tué son sous-lieutenant ; et une haine féroce de l’armée allemande était désormais le seul sentiment qui survécût dans l’âme de cette pitoyable épave de la vie. Et puis, un beau jour, le vieux soldat allemand a disparu : il emportait avec soi tous les plans des nouvelles fortifications des côtes de Birmanie, comme sans doute aussi bien des renseignemens précieux sur nos travaux de Cochinchine, où avait demeuré son bataillon de la Légion Étrangère !


Mais il est temps que j’arrive aux observations purement « militaires » de l’écrivain anglais. J’ai dit déjà comment le premier contact de celui-ci avec l’armée allemande s’était opéré dans une École de Cadets, où s’était passée une partie de sa jeunesse ; et aussi ne s’étonnera-t-on pas que le premier chapitre de son livre, — après une Introduction consacrée à de très sûres et intéressantes notions générales, — ait pour sujet le régime de vie de ces célèbres écoles, où se forment la plupart des officiers allemands. Ce régime serait d’ailleurs, à en croire notre ancien Cadet, sensiblement pareil à celui que subissent en Allemagne les jeunes soldats lors de leur entrée au régiment : de part et d’autre, le principe pédagogique dominant consisterait à « militariser » le futur officier ou le futur soldat en écrasant sa personnalité sous le poids d’une discipline brutale et sans pitié.


Il m’a été donné, pour mon compte, de prendre un avant-goût de cette discipline dès le seuil même de l’école où m’envoyaient mes parens. J’ai rencontré là un de ces élèves plus âgés qui, suivant l’habitude de toutes les écoles allemandes, sont chargés déjà de surveiller les élèves des classes inférieures. D’un ton rude et méprisant, ce Cadet m’a demandé mon nom. Je me suis nommé, avec le salut le plus respectueux dont je fusse capable : sur quoi, ce garçon, sans l’ombre de passion, et simplement avec la conviction d’accomplir son devoir, m’a frappé au visage, de toutes ses forces. Et cela nullement parce que j’avais un nom anglais, mais parce que j’étais un « nouveau » qu’il s’agissait de « briser. »

Le gardien de ma chambrée était un de ces sous-officiers typiques de l’armée prussienne qui ne conçoivent pas d’autre moyen que la force pour maintenir la discipline. Je jurerais qu’il passait des heures, tous les jours, à inventer des formes nouvelles de punition. L’un de ses divertissemens favoris était de contraindre un élève à porter sous chaque bras trois gros dictionnaires, à se tenir debout sur la pointe des pieds, à ployer les genoux, et à demeurer dans cette position pendant dix ou quinze minutes, — sous peine d’être roué de coups, s’il avait le malheur de tomber. Tous les autres sous-officiers de l’école, du reste, égalaient au moins celui-là en vaine cruauté.