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des chefs qui, de leur côté, ne cessaient pas de s’accoutumer plus ouvertement à mépriser les anciennes contraintes de la loyauté et de l’honneur « civils. »

Mais l’objet principal du petit livre était d’avertir l’Allemagne de ce qu’on pourrait appeler la déchéance « professionnelle » de sa vie militaire. Le capitaine affirmait que l’armée allemande répondait de moins en moins à sa destination véritable ; que, sous son imposante apparence extérieure, de plus en plus elle allait perdant son efficacité « guerrière ; » et qu’au lieu de rester ce qu’elle devait être, c’est-à-dire une réunion de soldats s’apprêtant de toutes leurs forces à combattre et à vaincre, de plus en plus elle tendait à devenir quelque chose comme un immense « corps de ballet, » une caste isolée et privilégiée dont les membres n’auraient d’autre souci que d’accomplir, avec une perfection impeccable, toute espèce de fonctions ou de rites inutiles. « Un officier qui regarde la préparation de la guerre comme le but suprême de sa profession, — assurait notamment le capitaine prussien, — ne peut s’empêcher de ressentir un vrai désespoir lorsqu’il découvre à quel point, dans toutes les choses de notre armée, la préoccupation du fond est aujourd’hui sacrifiée à celle de la forme… D’année en année, cette vaine recherche de la forme a pour effet d’affaiblir notre résistance proprement guerrière. »

Voilà donc ce que je transcrivais ici, il y a trois mois, ravi de pouvoir communiquer au lecteur français un témoignage qui m’avait été, à moi-même, infiniment précieux : mais je dois avouer qu’ensuite, presque dès le lendemain de la publication de mon article, des doutes graves me sont venus touchant la valeur effective du témoignage ainsi reproduit. Le fait est que les premières semaines de la guerre, en même temps qu’elles confirmaient de tous points les accusations du capitaine Pommer relatives à la « barbarie » de l’armée allemande, n’étaient certes pas pour nous donner de celle-ci l’idée d’une simple armée de « parade, » où la « préoccupation de la forme » aurait eu pour effet « d’affaiblir la résistance guerrière. » Jamais au contraire, me semblait-il, jamais plus terrible machine d’attaque et de défense ne s’était encore montrée à la face du globe ; et je songeais tristement que, sans doute, il n’avait pas fallu moins que vingt années de déceptions ou de rancunes privées pour aveugler d’une façon aussi singulière la sollicitude patriotique de l’ex-capitaine prussien.

Après quoi les semaines ont passé, et chacune d’elles m’a remis en mémoire quelque détail nouveau des accusations, un moment