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corrigeait d’une férule indulgente. Nous le connaissions ; peu à peu, son tour d’esprit nous devenait familier ; à la fin, nous avions tiré de lui tout ce qu’une intelligence désireuse de savoir peut tirer d’un esprit mûri par l’étude et l’expérience. Un bien s’établissait, lien d’habitude qui tournait vite à l’affection. Par cette intimité quotidienne, par cette familiarité confiante, le professeur de classe, sans effort, sans pédantisme, devenait un éducateur. Je ne me souviens jamais sans émotion et sans gratitude des Maxime Gaucher, des Cucheval, des Courbaud, des Collet, modestes professeurs de lycée auxquels je dois tant, alors que plus tard des spécialistes aux noms illustres n’ont réussi qu’à m’inspirer l’horreur des matières qu’ils enseignaient. Pendant les deux heures que durait la classe, l’élève avait le temps de fixer son attention et la variété des travaux le préservait de la fatigue. On lisait les plus beaux textes de trois littératures, on les expliquait pour en méditer le contenu moral et en goûter la beauté artistique, on les apprenait par cœur, on se les assimilait, on les convertissait en substance et en sang.

Mais on ne se contentait pas d’emmagasiner toutes ces richesses, et ceci est essentiel. Les éducateurs de jadis n’admettaient pas que l’intelligence de l’enfant fût condamnée à un rôle uniquement réceptif. Ils combattaient de toutes les manières la passivité de l’esprit. Ils le voulaient, cet esprit, actif, toujours plus actif. Ils l’invitaient et l’excitaient à cette activité qui consiste à travailler sur les matériaux reçus du dehors, y ajouter de son fonds et en faire quelque chose de différent. Ils observaient pieusement la méthode recommandée par le vieux Montaigne : « On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir, et notre charge ce n’est que redire ce qu’on nous a dit. Je voudrais que [le maître] corrigeât un peu cette partie et que de belle arrivée, selon la portée de l’âme qu’il a en main, il commençât à la mettre sur le trottoer, lui faisant gouster les choses, les choisir et discerner d’elle-même… Je veux qu’il escoute son disciple parler à son tour ; qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance, et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire mais de son jugement. Que ce qu’il viendra d’apprendre il le luy face mettre en cent visages et accommoder à autant de divers subjects, pour voir s’il l’a encore bien pris et bien faict sien. » C’est à quoi servaient les compositions latines et françaises, vers et prose, narrations, discours, dissertations. L’ancienne Université multipliait les travaux écrits, parce que, bons ou mauvais, ils forcent