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qu’il te suffira de payer rançon le premier jour pour être ensuite délivrée du pillage ! Non, pas un château n’est épargné. Le mobilier et tout ce qui n’a pas été enfoui disparaît comme par diabolique magie. Ne pense pas que le nom de George Sand arrêtera, dans son ardeur à détruire, le sous-lieutenant ou le capitaine qui poussera une pointe sur La Châtre. Marc D. (Dufraisse), que j’ai vu il y a une quinzaine, m’a chargée d’insister pour te faire quitter le Berry et de l’offrir l’hospitalité de sa préfecture.

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« Quelle époque ! C’est à devenir fou de douleur, quand on ne peut porter un fusil et courir où l’on est massacré, au cri de : Vive la France ! Pauvre immortelle France, si souvent ravagée, tant de fois abreuvée de son propre sang ! Lorsqu’on est loin de ces boucheries, on est par instant incapable d’accepter la réalité des faits. On est tour à tour indigné et brisé, furieux et désespéré. On attend la nuit avec impatience, afin d’échapper à l’horrible cauchemar de la journée, et l’on s’engourdit dans l’opiniâtre et folle espérance que l’aurore apportera la nouvelle d’un miracle.

« Donne-moi de tes nouvelles. Je me dis que, d’un matin à l’autre, vous pouvez en vous éveillant apercevoir des uhlans dans le bourg, et je suis moins paisible dans le repos de ma retraite que si je me trouvais avec vous sur le théâtre du danger[1]. »

George Sand savait fort bien du reste à quoi elle s’exposait. Elle n’avait point la naïveté, — ou la fatuité, — de croire que son nom, célèbre au pays de Heine, put lui valoir un traitement de faveur. Mais quoi ? le pauvre Flaubert n’était-il pas envahi à Croisset, et les bottes prussiennes ne foulaient-elles pas le sanctuaire d’étude où il avait écrit Salammbô ! Dumas père n’était-il pas en train de mourir dans un coin, à Dieppe ? Théophile Gautier n’était-il pas revenu pour partager avec tous les siens les horreurs du siège ? Plauchut ne tenait-il pas bon dans sa garçonnière aérienne du boulevard des Italiens ? Son propre logis à elle, gardé par la fidèle Martine, rue Gay-Lussac, n’avait-il pas failli être pulvérisé par une bombe, et Martine et le logis n’avaient-ils pas réchappé de cette aventure ? N’est-ce pas provoquer le sort que de chercher à s’y soustraire ? On envisage

  1. Inédite.