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soldat à sa manière. Je suis, à la tête de mon encrier, de ma plume, de mon papier et de ma lampe, comme un pauvre caporal rassemblant ses quatre hommes à l’arrière-garde[1]. »

Toute sa couvée est maintenant autour d’elle, à Nohant. Rassurée sur les siens, elle recommence à s’occuper des gens du bourg, conseillant, dirigeant, soignant, prêchant d’exemple, inépuisable de bonté, de charité. En même temps, elle escorte de ses recommandations auprès de leurs chefs, et elle soutient de ses lettres maternelles un groupe de jeunes Berrichons qui besognent de leur mieux è l’armée, parmi lesquels se trouvent ses deux petits-neveux, Edme et René Simonnet. Elle écrit à Edme, le 7 décembre : « On gèle au coin du feu. Aussi, quand on pense à vous autres, on se désole, on se reproche le pain qu’on mange, et le bois qu’on brûle ! » Au même, à Nevers, le 17 décembre : « Mon enfant chéri, j’espérais avoir des détails sur toi par le retour de René ; mais il a eu tant d’occupations qu’il n’a pu venir, et nous ne savons pas si Maurice nous l’amènera aujourd’hui. Nous sommes absolument sans nouvelles depuis deux jours ; c’est comme si on était au fond d’une tombe. Vous avez pour vous distraire la fatigue du métier, et nous n’avons rien pour échapper à la tristesse et à l’inquiétude. Qui sait pourtant si nous n’aurons pas un bon réveil ! En nous tourmentant pour la France, pour le pays, pour les amis en danger, nous ne sentons que plus vivement ton absence, et nous pensons à toi sans cesse. Lolo et Titite demandent souvent leur petit cousin. » Et elle finit par des amitiés pour Antoine, un sergent, camarade d’Edme au même régiment, et pour Henri, le petit jardinier de Nohant, qui sert, lui, comme simple soldats Sa tendresse n’oublie personne. Elle signe : « Ta tante, George Sand[2]. »

Cependant Solange, à la pensée que les Prussiens approchaient de La Châtre, s’affolait : « Ma chère mère, écrivait-elle de Cannes le 7 décembre, je suis épouvantée de te voir rester à Nohant en dépit de ces terribles événemens. La nouvelle défaite de l’armée de la Loire ne saurait laisser le moindre espoir. D’un jour à l’autre, le Berry peut être envahi. Que veux-tu faire avec une jeune femme et de petits enfans ? Ne crois pas que ta présence préservera ta demeure, si les Allemands s’y rendent, et

  1. Journal d’un voyageur pendant la guerre, p. 195-196.
  2. Inédite.