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coup, le 8 novembre, la voilà revenue, ou du moins ayant un pied à La Châtre et un pied à Nohant. Elle a écrit à Solange :

« Je suis à Nohant de midi jusqu’à cinq, depuis trois jours. Je couche et mange encore à La Châtre. A la fin de la semaine, Lina et les enfans viendront avec moi se réinstaller ici. La variole est à peu près finie, et sans gravité maintenant. Maurice ira et viendra, s’offrant pour commander les mobiles ou mobilisés ou mobilisables, comme on voudra. Les derniers contingens ne sont pas formés. Il veut absolument travailler à la défense, n’importe comment, et mon chagrin doit se taire devant son sentiment du devoir. L’ennemi est toujours à Orléans et doit, dit-on, venir à Bourges. Tu vois que nous sommes bien près du péril personnel. Mais on y a tant songé qu’on n’y songe plus. On a usé en soi l’inquiétude et toute la souffrance d’une telle situation. Les peureux eux-mêmes ont épuisé la peur, et peut-être se défendront-ils comme les autres. C’est, je crois, la situation générale ; et le désespoir peut faire faire les prodiges de la dernière heure. Peut-être notre défaite, si elle a lieu, coûtera plus cher à l’Allemagne que si c’était une victoire.

« Je viens ici tous les jours travailler pour Buloz, bien que je ne sache pas quand je pourrai lui expédier ma prose. Je ne puis écrire que sur la situation. Les choses d’imagination exigent une fraîcheur d’esprit que je n’ai pas pour le moment. Ici on n’est pas rouge, tant s’en faut. En revanche, on est doux et sociable, et, sans les Prussiens, on y serait en sûreté jusqu’à présent. Les petites vont bien. Ces déplacemens où nous vivons les amusent. Elles jouent à la guerre et aux Prussiens. La peur n’est pas entrée dans leur esprit.

« J’ai voulu t’envoyer de l’argent. La poste n’a pas voulu en répondre. Je suis contente que tu puisses attendre. Dès qu’il sera possible, je t’en enverrai. Tu n’as pas besoin de lettre pour M. D.[1]. Tu n’as qu’à te nommer, et lui serrer les mains de ma part. C’est un homme de grande valeur sous tous les rapports, et j’espère qu’il triomphera de l’ébullition inséparable des… (mot illisible) où nous voilà.

  1. Marc-Dufraisse, nommé préfet des Alpes Maritimes. Solange signalait, dans une lettre du 6 octobre, son arrivée, et le bon effet de sa proclamation. Elle ajoutait : « Es-tu restée en relation avec lui ? Si mon souvenir ne me trompe, il te doit au moins la vie. » Marc-Dufraisse la lui devait, en effet, et n’avait garde de l’oublier.