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« Il me tarde de te savoir arrivée à Cannes sans encombre. Ne recommence pas un pareil voyage dans de telles circonstances, et tiens-toi renfermée là-bas jusqu’à ce que tout se calme. Les fillettes se portent bien, et nous sommes chez de bons amis où rien ne nous manque. Ne t’inquiète pas. Nous t’embrassons tous. Donne-nous de tes nouvelles ici : Saint-Loup, par Gouzon, Creuse[1]. »

Solange, d’ailleurs, n’avait pas besoin de cette invitation pour écrire. Ses lettres se multiplient en septembre et octobre. Aux alarmes bien naturelles pour les siens qui guidaient sa plume s’ajoutait la consternation, l’épouvante du spectacle qu’elle avait eu sous les yeux durant son voyage. Navrante peinture !

« Vous êtes heureux dans vos angoisses, écrit-elle, d’être en famille et réunis. La solitude, sans la possibilité de s’occuper avec suite, est odieuse. Quel travail matériel ou moral entreprendre, par l’invasion qui avance, et ronge la France ?…

« Je suis contente de savoir les petites toujours gentilles et bien portantes. Fais-tu, à Saint-Loup, d’innombrables et magnifiques patiences ? Moi, j’ai un peu embrouillé celles que tu m’as apprises. Mais c’est bien joli tout de même !

« Est-ce joli, Saint-Loup ? Ce que j’ai traversé, de Boussac à Moulins, était charmant. Et ensuite de Moulins à Gannat, Clermont, etc. Ce n’est qu’un peu avant Nîmes que le paysage devient laid. Le colysée de Nîmes était plein de zouaves. Ça n’allait pas ensemble, — Belleville, — Nîmes. Le jardin public, avec son temple, ses bains romains, ses beaux ombrages, ses grands canaux à balustrades, sont magnifiques.

« Adieu, ma chère mignonne. Je t’embrasse, toi, Maurice, Lina, les enfans, de tout mon cœur, et je te demande de tes nouvelles[2]. »

Solange fait la navette entre sa villa Malgrétout, et la pension Penant, à Cannes. Elle continue à s’alarmer, à s’exaspérer dans son isolement. Les réponses de sa mère, durant le mois d’octobre, sont perdues. On voit, cependant, par un billet du 11 octobre à Flaubert, que, si elle a jeté son dévolu sur la Creuse, c’est pour ne pas quitter « le pays, » pour rentrer dans son cher Nohant le plus tôt possible, et s’y rendre utile. Tout à

  1. Inédite.
  2. Id.