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juillet 1870, elle mène avec les siens la vie qu’elle décrivait naguère en ces termes à Dumas fils : « Maurice est devenu agriculteur, et Lina fermière. Je suis plongée dans la botanique. ! J’engraisse. Je ne pense à rien. Je suis au comble de mes vœux., Les deux petites sont charmantes. Aurore embellit merveilleusement, et elles ont des santés parfaites.- Décidément, le Berry est toujours bon. L’Indre est toujours froide comme un petit glaçon. C’est délicieux…[1]. »

Tout à coup, éclate la nouvelle de la déclaration de guerre à la Prusse. Quel réveil !

Dès le premier jour, elle juge l’acte et en mesure les conséquences. Ses lettres à Plauchut, à Edmond Adam et à sa femme, à Dumas, à Henri Harrisse, à Flaubert, au prince Jérôme lui-même, qu’elle estimait pour son caractère, et qu’elle aimait parce qu’il était le républicain de la famille impériale, sont pleines des jugemens les plus fermes, des pronostics les plus décisifs. Elle écrit à Mme Edmond Adam : « J’augure très mal du drame qui se prépare, et j’y vois tout le contraire d’un pas vers le progrès… Je suis très triste, et, cette fois, mon vieux patriotisme, ma passion pour le tambour ne se réveillent pas…[2]. »

Ce n’est pas seulement la républicaine qui se désole, c’est aussi la paysanne. Elle voit arracher à la charrue les placides gars du Berry, en plein été d’une année qui fut sèche, presque stérile, et en tout sens terrible. Quelle antithèse entre les vociférations du boulevard et la morne désolation du pays de la Mare au Diable ! Et quelle leçon de patience, de persévérance, offre à ses yeux le laboureur berrichon ! A Flaubert, le 8 août, au lendemain d’un ouragan : « Le paysan laboure, et refait des prairies, piochant toujours, triste ou gai. Il est bête, dit-on : non, il est enfant dans la prospérité, homme dans le désastre, plus homme que nous qui le plaignons. Lui, ne dit rien, et, pendant qu’on tue, il sème, réparant toujours d’un côté ce qu’on détruit de l’autre. Nous allons tâcher de faire comme lui, et de chercher une source jaillissante à cinquante ou cent mètres sous terre. L’ingénieur est là… » Ce détail ne prend-il pas une valeur de symbole ? Pendant que notre sang s’épuise aux frontières, George Sand secourt le paysan aux abois, et fait jaillir

  1. A Dumas fils, 15 août 1869. (Inédite.)
  2. Corr., t. VI, premières pages.