Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par terre ; l’une est calcinée à demi. L’homme va de l’une à l’autre, nous les détaille au long du chemin : « Franzose, Franzose, Franzose » ou encore à l’une d’elles : « Camarade. » Ce sont des cadavres. Pas plus de sept ou huit, je crois.. Ça paraît très petit. Aux dépouilles d’un soldat mort il arrache sa baïonnette et méthodiquement il la brise. Plus bas encore, un vieillard râle sur le trottoir. Une maison est épargnée. Cela le rend songeur : « Francese ? » demande-t-il. « Américaine. » lui dis-je au petit bonheur. Hélas ! elle ne sera pas épargnée le lendemain, car l’incendie est réglé et méthodique.

… Enfin, voici l’hôpital. M. C. ; demande qu’on le laisse à la porte. « Nein ! » répond l’homme.

Il nous mène dans les dortoirs encombrés de blessés français. Toujours leur but : nous montrer leur force. Quelle joie de voir dans cet enfer une figure amie, l’aumônier, qui me dit : « Ils sont un peu calmés, mais furieux d’être traités de barbares. »

Ils sont sûrs de leur mission et de leur victoire. — Pendant que nous causons à voix basse, le petit incendiaire détrousse avec diligence les effets militaires, mais il donne à l’aumônier les boîtes de pansement qu’il trouve.

Je désirais voir le major. C’est utile pour l’intérêt général et particulier. Il est couché dans le dortoir des Allemands, beaucoup plus nombreux. Il est couché et éreinté ! Il promet de venir le lendemain matin voir notre blessé ; mais il n’est pas venu. Tout le jour, l’hôpital a été criblé de balles et de mitraille et les malades n’en menaient pas large.. Je demande au major qu’on épargne au moins les maisons religieuses où sont réfugiés les malheureux. Il me répond en bon français qu’il part le lendemain, mais qu’il transmettra ma demande et tâchera de réussir. Une excellente dame qui est là et parle allemand a déjà adouci les choses ainsi que la Supérieure et l’Aumônier.

Enfin, on crie quelque chose à la sentinelle et on nous laisse partir. Et, le lendemain, le même Allemand apportait une bicyclette volée à un domestique du collège et des bonbons à la fille de Pierre… Puis, chaque jour, il revenait en chien fidèle. ! Pierre nous a dit que ce petit ennemi était « très méfiant. » Il racontait avoir tué le jour même un civil qui tirait sur eux et avoir blessé par mégarde une petite fille, à laquelle le lendemain il apportait 10 mark. Etrange mentalité des temps de guerre !