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reparler à la Reine et d’avoir l’air de solliciter d’elle une réponse ; mais il revient fréquemment s’assurer de l’état du Prince, et, ne s’en rapportant qu’à ses yeux, demande à pénétrer jusqu’auprès du malade. Au cours d’une de ces visites, il raconte les caquets de Paris sur le sujet de la Reine. Le bruit de notre embarquement à Livourne pour Malte ou Corfou s’est accrédité ; la reine Amélie entendant cela de la bouche de la maréchale Ney a répondu en riant qu’elle était ravie de la nouvelle. Le général Sébastiani, ministre des Affaires étrangères, a déclaré lui-même en conseil, avec l’air d’assurance qui ne lui manque jamais, que la présence de la reine Hortense à Corfou était certaine. Il ajoutait qu’on pourrait peut-être lui conseiller de débarquer à Gênes ; que, de là, sans lui écrire directement, on aviserait aux moyens de lui faciliter son retour en Suisse. M. Perier gardait le silence et tenait les yeux fixés sur ses papiers. Le Roi dit alors : « Non, il faut lui laisser achever son voyage comme elle l’a tracé. Quand nous la saurons à Londres, il sera temps de voir si nous pouvons lui laisser traverser la France pour retourner à Reichenau. » Il se leva en même temps pour sortir de la salle. M. Barthe, garde des sceaux, reprit alors : « Je ne sais si le Roi pourrait faire ce qu’il propose. Il y a une loi. » On devine si ces messieurs du ministère seraient mécontens d’apprendre que la Reine est à Paris, que le Roi le savait, et qu’il le leur a caché.

M. d’Houdetot, tout en causant, s’est découvert avec moi une relation commune : c’est celle de mon beau-frère, Aimé de Franqueville, son ancien camarade de l’état-major. Ils ont fait ensemble la campagne d’Espagne en 1823. Aimé, qui était chef d’escadron à Waterloo, n’était plus alors que capitaine ; M. d’Houdetot était resté commandant. Il rencontra auprès d’Aimé une telle obligeance, une telle cordialité d’accueil, qu’ils partagèrent longtemps leur bourse, leurs effets et jusqu’à leur lit. C’est en souvenir de cette amitié parfaite que M. d’Houdetot m’a demandé une note sur les services de mon beau-frère et qu’il a promis de faire pour cette cause tout ce qui dépendrait de lui.


Mercredi, 4 mai.

L’ordonnance prescrite à la Reine étant toujours de se promener et de se distraire, je l’entraîne ce matin du côté du