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avaient suivi ; le reste fut pris par les Cosaques et rendu fort honnêtement au gouvernement provisoire, dont les membres se partagèrent la somme.

Plusieurs centaines de mille francs destinées à la Reine avaient été déposées chez M. Lefebvre, receveur à Blois ; mais elle n’en reçut pas à temps l’avis du comte Mollien, ministre des Finances, et le Duc d’Angoulême se les appropria. Elle reconnaît que l’arriéré de 600 000 francs dû à sa mère a été payé en 1818, sur la demande de l’ambassadeur de Bavière, et partagé par elle avec le prince Eugène. Mais les 700 000 francs dus depuis 1814 et grossis jusqu’à un million par les intérêts, ne lui ont pas été rendus et forment, à proprement parler, l’objet de sa réclamation. Une prompte réponse lui est nécessaire, d’après l’état présent de sa fortune. Son homme d’affaires à Paris, M. Devaux, est menacé de banqueroute : elle a chez lui 400 000 francs. Une spéculation sur je ne sais quels terrains dans laquelle M. de Brack l’a lancée, lui en coûte 300 000 autres, qui, joints à tout ce qu’elle vient de dissiper dans ses derniers malheurs, mettent ses finances au plus bas.

Sa santé n’est pas meilleure, épuisée qu’elle est par la surexcitation nerveuse dans laquelle elle vit depuis plus d’un mois, et parvenue à la limite de ses forces après l’effort que lui ont coûté ses entretiens avec le Roi et avec M. Casimir Perier. Elle attendait avec impatience son arrivée à Paris, pour prendre enfin le deuil de son fils ; je lui avais commandé une robe noire qu’une ouvrière est venue lui essayer ; mais, à la vue de ce triste vêtement, elle s’est affaissée sur elle-même si brusquement, que je l’ai crue frappée d’un coup de sang. Une crise de sanglots et de cris a suivi, bientôt remplacée elle-même par cette atonie machinale où l’avait jetée la mort de Napoléon. J’ai fait disparaître la robe au fond d’une armoire, et il n’en a plus été question depuis ; mais la faiblesse et le dégoût subsistent ; le pouls ne se relève pas ; la Reine ne retrouve un instant de vie que pour donner des soins à son fils, toujours alité et souffrant. Assise à son chevet, elle ne s’en écarte que le soir, pour faire quelques pas à l’air ; ainsi l’exige l’ordonnance du médecin qu’on a consulté et que déconcerte le cas de Mrs Hamilton.

Je profite ça et là des visites qui me viennent pour la distraire, en lui présentant mes amis. Mon cousin Prosper, avec