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l’intervention autrichienne, et veut qu’elle soit changée, pour le cas où la lettre serait reproduite dans les journaux.

Le secret qu’il recommande en sortant et qu’il est de notre intérêt d’observer strictement m’oblige à me rendre chez Mme Lindsay : c’est pour empêcher qu’elle ne vienne elle-même à l’hôtel et n’y apprenne ce que nous voulons cacher. Justement un billet d’elle, réponse à la lettre que M. d’Houdetot lui a remise, m’invite à satisfaire son impatience en lui donnant au plus tôt des nouvelles de « la bonne duchesse. » Elle habite chez une cousine à elle, Mme Saulnier, qui vient, à trente-trois ans, de perdre son mari et auprès de laquelle elle passe tout son temps. C’est là que je vais la voir hier soir, lundi. Elle est bonne, spirituelle, sensible, et mêle bien des larmes à celles que je verse en lui faisant le récit de nos malheurs. M. d’Houdetot survient, s’assied et nous écoute : je sais qu’il est familier de la maison.

En me reconduisant à ma voiture, il déclare que je n’ai menti que le moins possible, au cours de cette embarrassante visite ; il est très satisfait de moi. « Mais la Reine l’a-t-elle été de M. Perier ? Le ministre aurait-il montré, par hasard, trop d’esprit d’affaires et de raideur ? » Je réponds que la Reine aurait préféré s’adresser directement au Roi ; qu’un cœur souffrant, comme le sien, n’aspire qu’à la sympathie, et qu’après toutes ses infortunes hors de France, elle a droit à de la pitié dans son propre pays.

Je me flatte de l’avoir ému, sinon par ma seule éloquence, au moins avec l’aide des deux beaux yeux qui tout à l’heure pleuraient nos malheurs devant lui. Et voici maintenant mon triomphe : M. Casimir Perier revint dans la soirée à l’hôtel de Hollande. Il demande avec circonspection si la Reine est sûre de tout son monde et qui je suis, se rassure en entendant prononcer le nom si honorablement connu de mon père, et se décide enfin à annoncer devant moi que « le Roi est prêt à faire ce que la Reine désire ; il aura grand plaisir à la recevoir. »

L’heure et la manière de cette visite se règlent aujourd’hui entre la Reine et M. d’Houdetot. Le soir à huit heures, il l’enlève dans sa voiture, comme en bonne fortune, et la conduit chez lui au Palais-Royal.

Mon rôle est de garder le Prince, déjà indisposé hier et tout à fait souffrant ce soir. Un médecin qu’on a fait venir lui a