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embarquement pour Livourne, dans la soute à charbon affrétée par Charles. On la croit à Malte, on s’émeut de ses malheurs et de ses pérégrinations ; ses amies Mmes Germain et Lindsay font des démarches pour obtenir un passeport qui lui permette de débarquer à Marseille et de gagner Londres par voie de terre.

Elle fait grand fond sur l’entremise de M. d’Houdetot. Mais le lendemain lundi 25, il revint dans la matinée. Il dit que la présence de la Reine à Paris est une chose grave. Le Roi, à cette nouvelle, a fait un bond en s’écriant : « Quelle imprudence ! »

Personnellement Louis-Philippe est disposé à faire tout ce qui lui sera possible ; « mais, avec un ministère responsable, il ne peut rien par lui-même et prie la Reine de ne pas se déranger pour venir le voir ; il va faire appeler son premier ministre, M. Casimir Perier, et l’enverra à l’hôtel de Hollande avant la fin de la journée. »

Cet arrangement déplaît à la Reine et me vaut à moi un bout de rôle, qui est de recevoir chez moi M. Casimir Perier avant de l’introduire auprès d’elle. Il arrive en homme d’Etat, non pas hostile, mais très réservé. Il a cinquante ans environ ; sa figure expressive est un peu triste, peut-être même un peu lasse, mais relevée par l’éclat de beaux yeux profonds ; sa physionomie respire la droiture, l’énergie ; sa démarche, l’activité ; et seule sa haute stature un peu pliée indique en lui l’ancien homme d’affaires et le banquier. A l’inverse de tant d’avocats, prêts également à plaider toutes les causes, ou d’écrivains si cultivés et si raffinés qu’ils n’arrivent plus à distinguer le bien du mal, il est, lui, un homme d’entreprises et de mise en œuvre, une sorte d’ouvrier supérieur, travaillant avec l’argent comme avec un outil. La banque fondée par lui et son frère Scipion sous le Consulat a favorisé depuis de nombreux établissemens, tels que des cristalleries, des sucreries, des moulins à vapeur. Devenu député sous la Restauration, il prit dans les rangs de l’opposition une place importante qui présageait par avance celle qu’il occupe aujourd’hui à la tête du gouvernement.

La visite qu’il fait à la Reine se prolonge fort longtemps. Peu à peu, elle l’intéresse à sa cause et parvient même à l’émouvoir. Elle avoue que le prince Louis est là et les met un instant en présence ; la lettre destinée au Roi est montrée au ministre, qui désapprouve une phrase un peu forte, relative à