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plaisant. Il mettait ma froideur sur le compte de la sévérité avec laquelle j’ai été élevée. Ma migraine a été une défense contre mon entreprenant compagnon. J’ai disparu de bonne heure aux deux gites de Roanne et de Moulins. Après un petit évanouissement que j’eus jeudi avant d’arriver à Briare, il m’a laissée tranquille avec mon charme et ne s’est plus occupé que de ma santé.

Nous sentions déjà l’approche de Paris à l’inquiétude qui se manifestait chez la Reine. Il y avait eu quelques mouvemens napoléonistes dans la capitale ; cette agitation de la rue, qu’elle jugeait inutile et stérile, ne lui paraissait propre qu’à contrarier ses propres projets. Nemours lui rappela sa rencontre avec son frère Eugène en 1809 : mandé par l’Empereur, il revenait d’Italie et elle allait au-devant de lui l’avertir que le divorce impérial était décidé, que leur mère s’y résignait, qu’il devait renoncer pour sa part au trône d’Italie, elle à celui de France, dont Napoléon-Louis était alors l’unique héritier.

Fontainebleau était encore plus plein pour elle de souvenirs. Elle appréhendait de retrouver le palais tout bouleversé par les Bourbons ; mais à l’exception de la galerie de Diane, qui date de Louis XVIII et qu’elle n’a pas jugée laide, tous les lieux sont tels encore qu’elle les avait laissés.

Deux des valets qui nous conduisaient avaient servi au château du temps de l’Empire. La Reine abaissait soigneusement son voile noir sur son visage, de crainte qu’ils ne la reconnussent. Elle s’attardait à chaque meuble, dans chaque coin ; elle qui passe si rapidement d’ordinaire partout où on la mène trouvait cette fois qu’on la pressait outre mesure et qu’on ne lui laissait pas seulement le temps de respirer. Le Prince posait à chaque pas des questions si particulières qu’elles pouvaient trahir son incognito. Il ne sut dissimuler ni son émotion, dans la cour des Adieux, ni son impatience, devant cette inscription de la petite table ronde sur laquelle Napoléon signa son acte d’abdication. Il y est dit, à la Bourbon, que cet acte fut écrit « dans le cabinet du Roi, » comme si l’Empereur alors n’était pas chez lui, comme si son fils n’y serait pas encore, sans les milliers de baïonnettes étrangères qui l’en ont fait sortir.

La chapelle était tout encombrée d’échafaudages. Charles X, qui venait à Fontainebleau huit jours par an au moment des chasses, s’était occupé dans ces derniers temps de la faire