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A Gènes, la Reine veut se loger sur le port, pour avoir là encore le spectacle de la mer. Nous descendons « alla villa » dont l’entrée est étroite et difficile, mais dont les appartemens sont fort beaux. Le hasard a fait qu’en passant, devant le palais royal nous avons croisé la reine de Sardaigne. Nous sommes voués, décidément, aux rencontres souveraines ; puisse la principale, celle de Paris, donner à la Reine tout ce qu’elle en attend !


Montélimar, samedi 16 avril.

Comme il fallait que nous eussions chaque jour un danger d’être reconnus, notre voyage de Gênes à la frontière n’a pu se faire sans une péripétie de ce genre. C’était à Savone ; nous nous croisâmes avec une calèche dans un chemin si étroit, que cette voiture fut obligée de se jeter dans l’enfoncement d’une porte cochère pour nous laisser passer. Maîtres et domestiques aidaient aux chevaux, poussaient aux roues, pour se dégager de là ; la Reine s’amusait à regarder cette scène, bon sujet pour une page d’album, et ne reconnaissait pas d’abord sa filleule, Mme Thayer, qui est en même temps la fille du général Bertrand. Mais les domestiques de M. Thayer ont reconnu les nôtres, avec qui ils ont frayé lors du séjour de leur maîtresse à Arenenberg en 1829. Ils n’auront su que penser de voir la Reine en route pour la France ; mais ce qu’ils en pourront dire importe peu. Voyageant avec leurs propres chevaux, c’est-à-dire à petites journées, M. et Mme Thayer ne seront pas à Florence avant que nous soyons à Paris. Ils y auront été précédés par la lettre que, de Gênes, la Reine a écrite à son mari, et qu’elle a eu la précaution de faire passer par un banquier de Livourne ; elle y reprend la fable de son embarquement dans ce port, au fond de la soute à charbon que Charles lui avait découverte, et de son départ pour Malte, où elle est censée rejoindre le prince Louis pour se rendre ensemble à Londres. Ce roman sera bien accrédité en Toscane quand nos voyageurs y parviendront.

Le lendemain mardi 12 avril, nous suivîmes encore, à partir d’Albenga, cette même route de la Corniche, où chaque pas offre un nouveau sujet d’enchantement. La montée de Vintimiglia est rapide et fort dangereuse ; il fallut prendre une douzaine d’hommes pour pousser à bras les voitures dans ces tournans vertigineux. Toute cette partie a été achevée sous le