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finalement partit à pied, ce qui n’aurait pas avancé beaucoup les affaires au cas où la Reine serait tombée de fatigue et où il aurait fallu la rapporter à Pietra Santa.

Enfin la mère et le fils parurent ; Charles venait seulement de les rejoindre. Elle m’aperçut de loin à la fenêtre, et, devinant mon inquiétude, me fit avec son mouchoir un geste d’amitié, auquel tout mon cœur répondit par un élan d’amour.

Tous deux avaient la figure décomposée par les larmes. De Serravezza, ils s’étaient fait conduire en voiture à la papeterie de Napoléon, et plus haut auprès du torrent, à la petite maison que la princesse Charlotte faisait construire, dont il s’était occupé lui-même avec tant de plaisir et qui ne sera sans doute jamais achevée. La Reine me décrivait ces lieux, les beaux arbres, la vallée sauvage, avec ses carrières de marbre et la vue de la mer dans le lointain ; je l’interrogeais sur toutes ces choses, comme si je ne les avais pas vues dessinées sous mille aspects dans l’album de la princesse, à Florence. La soirée se passa ainsi tout entière à parler de celui qui n’est plus.

Le lendemain matin, il fallut retomber dans les subterfuges et dans les comédies. Le Prince faillit se heurter dans l’hôtel à M. Mariani, bijoutier de la cour de Florence, de qui la Reine et lui-même sont parfaitement connus. Cette aventure les fit se cacher tous deux derrière les jalousies tandis que j’allais seule au-devant de M. Zappi. Nous saisîmes l’instant où le fâcheux Florentin était à table pour partir à la dérobée. Une pire rencontre nous menaçait plus loin, celle du duc de Modène, qu’on nous disait devoir être à Massa. En effet, cette jolie petite ville était en fête, quand nous y passâmes. Comme ils auraient pu le faire pour un souverain bon et aimé, les habitans avaient tendu pour lui leurs rues de guirlandes. Sur la place, qui est large et régulière et dont son palais occupe tout un côté, un feu d’artifice était préparé en son honneur ; toutes les autorités en fiocci attendaient son arrivée, à laquelle nous échappâmes.

Il aurait fait un beau haut-le-corps, s’il avait su le prince Louis dans ses États !

Nous traversâmes Carrare, et défilâmes devant Sarzane, petite ville fermée où réside la marquise Amati. Ce fut pour moi l’instant de me souvenir du beau duc Gaetano et pour nous tous l’occasion d’une nouvelle alerte. Nous rencontrâmes un ancien cocher de M. Zappi, qui faillit le reconnaître et par qui