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l’antichambre, les uns Italiens et fort bons enfans, les autres Tyroliens, enchantés de parler allemand avec nos gens ; mais les domestiques attachés à la maison, le portier surtout, devant la loge de qui il fallait passer, nous donnaient plus de souci. Malgré son déguisement, ne pourraient-ils pas reconnaître le Prince, dont le visage leur était familier ? On leur annonça que nous partirions à sept heures seulement, pour que l’idée ne leur vint pas de se lever plus tôt que de coutume. Nous nous couchâmes à onze, sans qu’aucun de nous pût parvenir à fermer l’œil. Les domestiques passèrent la nuit à terminer les emballages, sans bruit, et toutes fenêtres fermées, pour ne pas donner l’éveil au dehors. À quatre heures, tout le monde dormant encore, même le portier, nous enjambâmes les soldats couchés dans l’antichambre et descendîmes l’escalier. La garde seule était debout et le jour pointait à peine. Je suis montée dans la voiture de la Reine, nos deux jeunes gens derrière, et suis partie avec un battement de cœur qui m’étouffe, encore, rien que d’y penser !

Mme Bendoni, si nerveuse tous ces jours-ci, si pleurante, aura dû suivre avec anxiété de son lit le pas de nos chevaux qui s’éloignait. Nous passâmes la barrière sans y être arrêtés : Charles, qui courait devant, avait montré le sauf-conduit autrichien. À Lorette, première étape, nous dûmes gagner à pied l’église, guidés par un homme du pays et suivis respectueusement par le Prince, qui, prenant à la lettre son rôle de domestique, se tenait à trois pas derrière et portait le parapluie. Il faisait une telle figure et se donnait un air si niais qu’un fou rire impossible à calmer me prit et que je pouffais encore sur le seuil du sanctuaire.

Lorette, sur une montagne escarpée, couronnée de murs, nous montre des rues étroites, montueuses ; sa place unique est le parvis de Santa Chiesa, dessinée par Michel-Ange ; tout autour un cloître dessert les maisons de chanoines bien rentes. L’église, grande et belle, quoique trop ornée de sculptures, offre d’abord à l’entrée une statue de Sixte V. Son plan est celui d’une croix grecque ; il y a un autel à chaque extrémité.

Au centre, se présente une petite maison revêtue au dehors du plus beau marbre de Carrare et toute couverte de bas-reliefs qui racontent l’histoire de la Vierge. C’est la Casa Santa que l’on dit apportée ici par les anges, et qui n’est peut-être