Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

percer à coups de sabre les bagages de la Reine, pour mettre au jour les soi-disant millions qu’elle emportait.

Or le commandant du détachement était ce même colonel qu’elle retrouvait devant elle à Ancône. Il ne fit pas de difficulté de reconnaître qu’en abandonnant tous les salons et en ne conservant que les petits appartenions, elle s’était d’elle-même réduite à la portion congrue, et n’insista pas pour exiger davantage. Le général Geppert, qui arrive à son tour, est un homme âgé, bon, exact, poli. Il s’excuse du dérangement causé à la Reine, demande si elle est seule et sur l’assurance que le prince Louis est parti pour Corfou, il annonce sa visite, qu’il se promet de faire quand les devoirs de sa charge le lui permettront.

La Reine espère beaucoup de cette visite, mais elle doit l’attendre deux jours, dans la position la plus incommode, entre les soldats autrichiens qui remplissent l’antichambre, qui y couchent sur de la paille, et le général lui-même, dont elle n’est séparée que par une double porte. Comme elle perçoit, derrière ce fragile écran, le bruit des pas et des conversations, elle craint que la voix de son fils ne soit entendue ; elle l’empêche de parler ; elle lui ferme la bouche quand il est sur le point de tousser.

Ma présence, dans un appartement devenu si petit, est presque une gêne pour elle ; mais, comme elle est toujours censée malade, il faut recevoir les visiteurs à sa place. Le comte Camerata vient deux fois. N’étant pas dans la confidence, il a écrit au prince Louis à Corfou, et confié dimanche sa lettre au général Grabinski.

Les bateaux partis ce jour-là sont arrivés sans encombre ; mais il n’en est pas de même de celui qui portait le pauvre Zucchi. Une frégate et un brick autrichiens le guettaient sur mer ; sa faible avance et sa mauvaise marche ne lui ont pas permis d’échapper. Tous ses passagers ayant été mis à terre, on les a examinés un à un, en épluchant leurs passeports. Celui de Zucchi était en règle ; lui-même avait passé sans être reconnu, et l’on pouvait le croire sauvé, quand il entendit son nom prononcé par un homme de la police. Il revint sur ses pas et dit avec fierté : « Cessez de tourmenter ces jeunes gens. C’est Zucchi que vous cherchez ? Vous l’avez. C’est moi. » Une scène de larmes suivit cette déclaration, les jeunes Modénais qui