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alors, nous aurions pu prendre tristement notre parti du fait accompli ; nous aurions pu, — peut-être, — prêter l’oreille aux rêves de paix universelle et donner définitivement congé à cette idée de revanche qui avait si longtemps soutenu notre fierté. Mais, — heureusement pour notre fierté même, — c’est ce que l’impudente brutalité de nos ennemis n’a point permis. Cette idée de revanche, ils l’ont imposée à notre pensée, presque malgré nous-mêmes ; la paix non pas universelle, mais entre eux et nous, simplement, ils n’en ont point voulu, et ce sont eux qui, après nous avoir — à combien de reprises ! — insolemment provoqués, ont fini par nous déclarer la guerre. Et que n’ont-ils pas fait pour rendre d’année en année plus lourd et plus odieux le joug qu’ils faisaient peser sur l’Alsace-Lorraine, et plus amer son regret du passé ! C’est l’Allemagne qui a maintenu toujours vivante, aiguë, saignante, la question d’Alsace-Lorraine ; c’est elle qui nous a guéris du pacifisme où beaucoup d’entre nous ont failli sombrer.

Devons-nous l’en remercier ? Je ne sais. Nous devons au moins nous féliciter que, par le cynisme maladroit de sa diplomatie, les questions se soient trouvées posées avec une netteté véritablement aveuglante. Il faut être Allemand pour croire sincèrement que le conflit actuel a été voulu par une autre nation que l’Allemagne, et les pacifistes français eux-mêmes ont bien dû reconnaître que, contrairement à ce qu’ils pensaient, elle le préparait, délibérément et traîtreusement, depuis de longues années. L’agression était si injustifiée et si flagrante que l’unanimité nationale s’est formée immédiatement, et qu’à la profonde stupeur de nos adversaires, qui avaient généreusement escompté nos divisions intérieures, du jour au lendemain, il n’a plus été question chez nous, ni de pacifisme, ni d’antimilitarisme, ni d’internationalisme, ni même de socialisme : tous les Français ont, d’instinct, sans ergoter, couru au drapeau, et la France s’est retrouvée ce qu’au fond elle n’avait jamais cessé d’être, une vieille nation militaire. Encore une fois, il faut se réjouir sans restriction de cette heureuse chance. Mais si les questions avaient été moins claires, si l’Allemagne avait été plus habile, si elle avait su mieux déguiser, envelopper de plus de précautions oratoires, de plus d’obscurités juridiques ses intentions réelles, si elle avait su, en un mot, se donner les apparences du droit, — et sans doute, ce n’était point facile,