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différente en cela de l’ancienne France, — et dont elle n’a jamais pu triompher. Assurément ce particularisme s’accommoderait infiniment mieux de la centralisation française que du despotisme germanique, non pas pourtant au point de ne pas préférer un régime plus souple, moins uniforme, plus respectueux des traditions provinciales. Il serait fort imprudent et peu généreux, quand l’Alsace redeviendra française, de ne pas tenir largement compte de ces aspirations profondes et légitimes d’une province qui a beaucoup souffert, sinon par notre faute, au moins à cause de nous, et qui rentrera avec tant de joie dans la communauté nationale. Il faudra, d’accord avec elle, lui trouver un régime qui lui convienne pleinement et qui la rende enfin vraiment heureuse. Il faudra user à son égard du sage libéralisme que l’Ancien Régime, encore une fois, avait très bien su pratiquer vis-à-vis d’elle, et dont la France nouvelle n’est certainement point incapable. Il faudra en un mot, si je puis dire, que l’Alsace, redevenue française, se trouve à la fois chez nous et chez elle. Là où a échoué lourdement l’Allemagne, nous saurons bien, nous, réussir.

III

Ce sont des observations d’un tout autre ordre que suggère le roman publié par M. André Lichtenberger, il y a quatre ou cinq ans, sous le titre de Juste Lobel, Alsacien. Juste Lobel, en effet, est Alsacien, comme M. Lichtenberger lui-même, mais, à la différence de M. Lichtenberger, c’est un Alsacien pacifiste, et c’est presque un Alsacien renégat.

Venu à Paris à six ans, resté bientôt seul avec sa mère veuve, il n’était pour ainsi dire jamais retourné en Alsace. Avocat, publiciste, il s’est fait l’apôtre du pacifisme international, et pour réaliser son rêve de paix universelle, il n’hésite pas, lui Alsacien, à déclarer que la France doit être prèle à faire « au bonheur suprême de l’humanité » le libre et généreux sacrifice de son droit légitime sur l’Alsace. Et il va sans dire que ses déclarations trouvent pour les applaudir non seulement des Allemands, non seulement d’autres étrangers, mais encore d’authentiques Français. Amené à séjourner en Alsace, Juste Lobel y retrouve la vieille bonne qui l’a élevé, et dont le petit-fils, Jean Knabel, est au service à Mulhouse. Là, il est repris