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LA QUESTION D’ALSACE-LORRAINE.

tristesse ; ils se réservent, et, le regard et l’âme toujours tournés du côté des Vosges, ils attendent… Et sans doute ils n’ont pas quitté pour la grande patrie leur petite patrie : car il faut vivre ; et il y a des situations, des attaches, des habitudes qu’on ne peut briser ; mais leur résignation à n’être, dans leur propre pays, que des « exilés, » des « émigrés à l’intérieur » n’en est que plus touchante : ils sont les témoins inconsolés d’un passé qui n’est pas aboli, et qui pourra ressusciter, qui ressuscitera demain.

Et il en est enfin, — comme Jean Oberlé, — qui, même sans connaître la France autrement que par ce qu’ils en lisent ou ce qu’ils en devinent, lui ont voué un inaltérable amour. Ils ne détestent pas les Allemands, mais ils les jugent en connaissance de cause :

— Seulement, plus je les ai connus, plus je me suis senti autre, d’une autre race, d’une catégorie d’idéal où ils n’entraient pas, et que je trouve supérieure, et que, sans trop savoir pourquoi, j’appelle la France.

— Bravo, mon Jean ! Bravo !…

— Ce que j’appelle la France, mon oncle, ce que j’ai dans le cœur comme un rêve, c’est un pays où il y a une plus grande facilité de penser…

— Oui !

— De dire…

— C’est cela !

— De rire…

— Comme tu devines !

— Où les âmes ont des nuances infinies, un pays qui a le charme d’une femme qu’on aime, quelque chose comme une Alsace encore plus belle !

Ceux-là non seulement ne peuvent pas vivre au-delà du Rhin, mais, après en avoir fait le loyal essai, ils ne peuvent pas vivre non plus dans l’Alsace germanisée et divisée d’aujourd’hui. Et ils émigrent dans la France de leur rêve, où ils tâcheront de se faire une vie plus conforme à leur âme. Et je n’ose dire que c’est là le conseil que l’auteur des Oberlé donne aux Alsaciens, car il ne fait pas un livre à thèse, et il a trop le sentiment des complexités de la vie réelle pour dogmatiser en pareille matière ; mais enfin, par le rôle de premier plan qu’il attribue à Jean Oberlé, par la sympathie que son héros lui inspire, et qu’il nous inspire pour son héros, il est visible que c’est cette attitude qui a toutes ses préférences, et qu’il recommande aux nôtres.