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sais rien. » Sans doute, à son patriotisme profond et avéré se joignait de l’ambition personnelle. On s’en étonnait, parce qu’il avait soixante-douze ans ! Mais à quel âge l’homme cesse-t-il de croire en lui-même et de soutenir ses idées, avec l’espoir de les faire triompher et de triompher avec elles ?

En tout cas, et je parle ici de 1871 et de l’Assemblée, nul n’avait autant que lui la pratique des affaires, la science et le talent nécessaires pour les diriger. Quelle puissance indéfinie de travail ! Quelle flamme, quelle ardeur, quelle activité, quel zèle dévorant ! A l’âge où le repos semble s’imposer, il avait la passion du travail et consacrait à une tâche immense au moins seize heures par jour, s’occupant de tout, veillant à tout, donnant lui-même l’impulsion à tout, n’ayant pas seulement le souci des affaires extérieures alors si difficiles, si délicates, mais celui, non moins grand, de l’intérieur où la guerre avait tout bouleversé et où tant d’incidens et de faits graves faisaient présager des agitations et des convulsions formidables. On verra ce que cet homme, déjà en réalité le Président de la République, a fait, en un mois, pour imposer à une Assemblée frémissante de douloureux, mais d’inévitables préliminaires de paix, constituer un gouvernement et en fixer le siège à Versailles, concilier les partis et former un pacte provisoire, mais indispensable d’union, tout cela pour la patrie qu’il fallait relever d’une chute profonde, en face de l’ennemi encore menaçant, de l’émeute qui grondait à l’horizon et de l’Europe qui attendait avec une curiosité égoïste la restauration ou la fin irrémédiable de la France.


HENRI WELSCHINGER.