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Le 14 février, l’Assemblée valida en quelques heures les élections de 326 députés en se réservant de statuer plus tard sur les élections des princes d’Orléans. On agitait déjà dans les groupes une question brûlante : le retour à Paris. Je constatai que le retour n’avait que fort peu de partisans, car la majorité, redoutant l’esprit turbulent de la garde nationale, qui avait pu conserver ses fusils et ses canons, cherchait une ville plus paisible, comme Fontainebleau ou Versailles. La folie obsidionale avait bouleversé bien des cerveaux, et plus d’un péril était à craindre. On se plaignait que le gouvernement de la Défense nationale n’eût pas retiré des armes dangereuses à une troupe si peu disciplinée. Mais celui-ci alléguait que la mesure aurait constitué un affront pour de bons citoyens et l’aurait exposé lui-même à des colères et à des menaces certaines. Il avait insisté auprès de son négociateur, Jules Favre, pour obtenir du comte de Bismarck le maintien des armes à la Garde nationale et la concession du chancelier l’avait surpris et charmé tout à la fois. Il ne prévoyait pas, le 28 janvier, la journée du 18 Mars et montrait ainsi une inexpérience dont le 31 octobre aurait bien dû le guérir. Cependant, lorsque la guerre civile éclata, Jules Favre fut le premier à regretter la concession faite, et je me rappelle avec quel accent de douleur et de remords il s’écria à la tribune de l’Assemblée à Versailles : « Je demande pardon à Dieu et aux hommes de n’avoir pas désarmé la Garde nationale ! »

Ce qui occupait encore et fixait l’attention publique, aussi bien à Paris qu’à Bordeaux, c’était la personnalité de M. Thiers. : Il était tout naturellement l’homme d’Etat le plus en vue. Ses avertissemens prophétiques à l’Empire, ses discours si sages et si clairvoyans au Corps Législatif au moment de la guerre, applaudis par une élite et hués par une majorité docile, ses graves et patriotiques leçons, son voyage à travers l’Europe pour nous trouver des alliés, ou tout au moins des Neutres bienveillans, ses négociations multiples avec les Cours et avec le comte de Bismarck, ses efforts infatigables pour essayer de retirer la patrie de l’abîme où elle était tombée, son élection triomphale dans 26 départemens, le prestige d’une carrière longue et brillante, son expérience consommée, l’estime que lui témoignait l’Europe entière, tout le désignait au choix des représentans comme l’arbitre même de nos destinées. On voulut faire de