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importations parce que les matières ne sont pas les mêmes : il suffit par exemple de savoir que, parmi les 600 millions de denrées exportées, se trouvent 170 millions de sucre et 80 millions de bière et de houblon, pour se rendre compte que les marchandises qui ne peuvent pas sortir ne remplaceront pas les marchandises qui ne peuvent pas entrer. Au contraire, l’impossibilité d’écouler ce dont elle est vendeuse crée pour l’Allemagne une gêne d’une autre sorte : au déficit de l’estomac s’ajoute le déficit de la bourse, et celui-ci, étendu aux industries vitales du pays, est terrible parce qu’en privant l’ouvrier de travail, il le prive nécessairement de pain.

Un journal allemand, la Freihandels-Korrespondenz, estimait que, dans les 12 milliards des exportations, la main-d’œuvre entre pour plus de 7 milliards. Le blocus actuel ne supprime pas seulement ces 7 milliards de salaires représentés par les produits exportés ; il supprime en outre un chiffre de salaires, peut-être égal, afférent aux produits consommés dans l’intérieur de l’Allemagne, dont la fabrication doit cesser avec l’arrêt des importations, parce que les matières premières manquent. Les textiles, la métallurgie, l’industrie électrique, celle des constructions de machines ou des produits chimiques sont dans ce cas et, par contrecoup, celle des houillères.

En Allemagne, le travail de récolte des betteraves se faisait habituellement par des ouvriers russes et polonais ; on peut admettre que, pour remplacer ces ouvriers étrangers qui vont rentrer chez elle en soldats envahisseurs, l’Allemagne, si les armées russes lui en laissent le temps, fera venir de l’Est, pendant la période d’arrachage, des ouvriers en chômage forcé, qu’elle arrivera même à fabriquer les 2 millions et demi de tonnes de, sucre qui constituent sa production moyenne, quitte à emmagasiner, puisque l’Autriche est elle-même exportatrice, la portion qu’elle ne pourra vendre au dehors. Il est clair que, si les armées russes occupaient prochainement la Prusse et la Silésie, il n’y serait pas fait effectivement beaucoup de sucre cette année ; mais, économiquement, cette industrie n’est pas réduite à l’inaction parce qu’elle peut faire du stock.

Les charbonnages, eux, ne le peuvent pas ; en ce domaine comme en plusieurs autres, la production s’est multipliée, — de 75 pour 100 depuis dix ans, — sans que les bénéfices aient suivi, malgré les efforts des cartels, une progression correspondante.